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Chihayafuruest un manga josei crée en 2008 par SUETSUGU Yuki, édité par Pika (Shojo) prépublié dans Be Love - Avis des lecteurs sur la série
MĂȘmesaccagĂ© par les Bolton, et donc diffĂ©rent de ce quâil fut autrefois, il conserve la mĂȘme force et la mĂȘme importance sentimentale pour les Stark. "Le gĂ©nĂ©rique davantage focalisĂ© sur lâespace que sur les personnages, qui sont pourtant au centre de lâhistoire, montre quâil est en rĂ©alitĂ© lui-mĂȘme un personnage de lâintrigue.
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QuelquesannĂ©es plus tard naĂźt le Matrix 3, sorte de gros show control pas trĂšs pratique mais en mesure de gĂ©rer les Spacemaps et dâalimenter les enceintes. D-Mitri arrive en 2009 et avec cette plateforme multimĂ©diale extrĂȘmement puissante qui sert encore aujourdâhui de cerveau pour Constellation, lâacoustique active de Meyer, Spacemap sert de langage de
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MĂȘmequ'on naĂźt imbattables! Un documentaire de Marion Cuerq Avec N-C 1 h 43 France 14,0 1 vote DĂ©tails Date de sortie 2 Novembre 2017 Fiches IMDb - The Movie DB Chercher des trailers sur Youtube Visionnage Vu Envie de le voir Pas vu Collection DVD Bluray 4K HD DVD VHS Synopsis On aspire tous Ă vivre dans un monde sans violence.
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Cejeudi 13 juin, le documentaire français âMĂȘme quâon naĂźt imbattables ! Vous avez choisi de refuser le dĂ©pĂŽt de cookies, vous pouvez Ă
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DeuxiÚmetemps dans cette réflexion sur les violences éducatives ordinaires (VEO) : une rencontre, ce mardi, entre la réalisatrice du film, les professionnels du Ram et les lycéens de Molsheim.
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Lâalternative proposĂ©e pour un budget plus contenu nâest autre quâAudioPro, dont les C3 et C10 ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© primĂ©es dans la catĂ©gorie enceintes sans fil. KEF LSX â Meilleur systĂšme tout-en-un 1000ÂŁ Lecteurs rĂ©seau On admet quâil est difficile de reprocher quoi que ce soit au lecteur rĂ©seau Audiolab 6000N Play pour moins de 500âŹ. Idem pour le Cambridge CXN V2 , le NAD C658 et le Naim ND5 XS 2 dans leurs catĂ©gories de prix respectives. Bon ça fait quand mĂȘme un podium constituĂ© Ă 100% de matĂ©riel british ! Une simple coĂŻncidence sans doute⊠Epson EH-TW9400 â Meilleur vidĂ©oprojecteur <2000ÂŁ VidĂ©oprojecteurs Pas de DLP parmi les meilleurs vidĂ©oprojecteurs de lâannĂ©e 2020. Si cela vous Ă©tonne, essayez de tester un vidĂ©oprojecteur 3LCD Epson comme le TW7100 et TW9400. Pour ces modĂšles, les images 4K sont simulĂ©es par wobulation. Si vous souhaitez de la 4K native il faudra opter pour les coĂ»teux Sony VPL-VW270 et sa technologie SXRD. 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Edit Showing all 3 items Jump to Release Dates 1 Also Known As AKA 2 Release Dates France 2 November 2017 Paris premiere Also Known As AKA original title MĂȘme qu'on naĂźt imbattables! France MĂȘme qu'on naĂźt imbattables! Contribute to This Page
Le petit-bourgeois est lâhomme qui sâest GORKI Comme je dis » Quand on est nĂ©e putain on reste putain, voilĂ mon avis. Je dis vous devez vous estimer heureuse si le fait quâelle sĂšche ses classes est tout ce qui vous prĂ©occupe. Je dis elle devrait ĂȘtre lĂ -bas, dans cette cuisine, en ce moment mĂȘme, au lieu dâĂȘtre lĂ -haut, dans sa chambre Ă se coller de la peinture sur la figure, attendant que six nĂšgres lui prĂ©parent son petit dĂ©jeuner, six nĂšgres qui ne peuvent mĂȘme pas se lever de leur chaise Ă moins quâils aient une charge de pain et de viande pour les maintenir en Ă©quilibre 507/223. 132 Voir James M. Mellard, âFaulknerâs Jason and the Tradition of Oral Narrativeâ, Journal of Popular C ... 133 Le pronom âvousâ apparaĂźt dĂšs la deuxiĂšme phrase du discours de Jason. Le plus souvent il englobe Ă ... 1Rien ici qui ressemble aux balbutiements incohĂ©rents de Benjy, rien qui rappelle les fĂ©briles divagations de Quentin. Une autre voix se fait Ă prĂ©sent entendre, vulgaire, sardonique, pĂ©remptoire, une voix qui affirme et qui tranche. Au monologue intĂ©rieur », avec ses replis et ses retours, ses dĂ©lais et ses dĂ©tours, succĂšde un monologue dramatique, discours Ă la cantonade de qui parlerait tout haut. Encore quâelle obĂ©isse elle aussi par moments Ă une logique associative, la troisiĂšme section doit bien plus Ă la tradition populaire du rĂ©cit oral quâĂ la technique joycienne du courant de conscience132 ». On dirait la fidĂšle transcription dâun discours improvisĂ©, une transcription qui aurait prĂ©servĂ© la familiaritĂ© de ton et lâallure spontanĂ©e dâun rĂ©cit fait de vive voix. Contrairement au vouloir-dire trĂ©buchant de Benjy et au trop-Ă -dire haletant de Quentin, le monologue de Jason laisse apparaĂźtre dâentrĂ©e de jeu la conscience que le locuteur a de lui-mĂȘme en tant que locuteur il sâĂ©coute parler » Ă preuve la frĂ©quence des inquit interpolĂ©s, les je dis », les comme je dis » en mĂȘme temps quâil suggĂšre la prĂ©sence dâun allocutaire, la complicitĂ© muette dâun tu auquel son discours sâadresse133. Alors que dans les deux premiĂšres sections lâappareil de lâĂ©nonciation Ă©tait des plus problĂ©matiques, nous avons affaire ici Ă une situation de discours quasi normale. Les monologues de Benjy et de Quentin Ă©taient des discours perdus comme des lettres..., la furieuse rhĂ©torique de Jason tĂ©moigne en revanche du besoin de communiquer, de convaincre ou dâĂȘtre Ă tout le moins entendu, rĂ©ellement entendu. Nous voilĂ revenus aux circuits de la parole, Ă deux pas du dialogue. 134 La troisiĂšme section ne comporte quâune seule analepse importante la scĂšne de lâenterrement de Mr ... 2Aussi nâest-on pas surpris que le roman reprenne ici sa fonction traditionnelle de rĂ©cit. Une histoire est enfin racontĂ©e et on la suit sans peine. Lâordre chronologique est rĂ©tabli dans la prĂ©sentation des faits, et les rares ruptures temporelles se font de telle sorte que le risque de confusion est des plus rĂ©duits134. Bien que Jason ne soit nullement un narrateur digne de confiance, la narration y gagne un relief, une couleur et une cohĂ©rence qui lui faisaient jusque-lĂ dĂ©faut, et grĂące aux supplĂ©ments dâinformation qui nous sont fournis lâhistoire des Compson sort enfin des limbes. 135 Le hĂ©ros de George Washington Harris Ă©tait un des personnages prĂ©fĂ©rĂ©s de Faulkner â[...] jâaime ... 136 Voir Robert C. Elliot, âThe Satirist Satirized Studies of the Great Misanthropesâ, in The Power o ... 3Retour donc, vaille que vaille, au rĂ©cit. Retour Ă©galement au personnage, passablement effilochĂ© dans les sections prĂ©cĂ©dentes. Jason en est un dans tous les sens du terme, sur fond de théùtre scĂ©lĂ©rat de mĂ©lodrame en mĂȘme temps que bouffon. Avec la troisiĂšme section le roman amorce un surprenant virage vers la comĂ©die noire, dans la riche veine populaire quâon retrouvera dans Tandis que jâagonise, la trilogie des Snopes et Les Larrons. Dans son parler dru et savoureux comme dans ses attitudes antisociales, Jason rappelle les figures hautes en couleur créées par les humoristes du Vieux Sud-Ouest, et lâon peut suivre son ascendance jusquâĂ Simon Suggs et Sut Lovingood, personnages qui lui ressemblent par leur brutal franc-parler et leur esprit caustique et quâil Ă©gale en cruautĂ© et canaillerie135. Dâautre part, dans la mesure oĂč il se rĂ©duit Ă une poignĂ©e dâidĂ©es fixes et de rĂ©actions stĂ©rĂ©otypĂ©es, Jason prĂ©sente Ă©galement dâĂ©videntes affinitĂ©s avec lâoriginal â lâhumeur devenue humour â tel que lâa dĂ©fini Ben Jonson et dont les excentriques de Dickens offrent le plus riche rĂ©pertoire dans la littĂ©rature romanesque. On peut enfin voir en lui un lointain cousin de province des grands misanthropes et des grands imprĂ©cateurs de la littĂ©rature occidentale â le Thersite dâHomĂšre, le Timon de Shakespeare et la foule des malcontents » du théùtre Ă©lisabĂ©thain, lâAlceste de MoliĂšre, le Gulliver du dernier voyage, ou encore, plus prĂšs de nous, lâhomme du sous-sol » de DostoĂŻevski136. Comparer Jason Ă toutes ces figures est peut-ĂȘtre lui faire trop dâhonneur, mais comme eux, dans son style de petit boutiquier sudiste, il est lâennemi implacable du genre humain et le fĂ©roce procureur de ses folies. 4Comme eux Ă©galement, il est Ă la fois lâagent et la cible de la satire. Tout son monologue peut se lire comme une Ă©tourdissante variation sur le thĂšme classique du satiriste satirisĂ©. Lâironie du romancier fait ici dâune pierre deux coups elle sâexerce en premier lieu aux dĂ©pens de Jason, dont elle charge le portrait jusquâĂ la caricature, mais dans le mĂȘme temps elle sâexerce, sous le couvert de Jason-narrateur, aux dĂ©pens des autres Compson, Ă ravaler le drame de leur dĂ©chĂ©ance aux proportions risibles dâune histoire de fous Je nâai pas beaucoup dâamour-propre. Je ne peux pas me permettre ce luxe, avec une pleine cuisine de nĂšgres Ă nourrir et le fait que je prive lâasile dâaliĂ©nĂ©s dâun numĂ©ro de choix. Le sang, dis-je, des gouverneurs, des gĂ©nĂ©raux ! Câest bougrement heureux que nous nâayons eu ni rois ni prĂ©sidents nous serions tous Ă Jackson Ă lâheure quâil est Ă courir aprĂšs les papillons 552/286. 5Jason fait preuve tout au long de son monologue dâun sens aigu de lâincongru et du grotesque et, comme satiriste, il est dâautant plus redoutable que Faulkner â le satiriste dans les coulisses â lui prĂȘte pour ce rĂŽle son propre talent. DĂ©crits sans nuances et sans sympathie, dĂ©pouillĂ©s de tout ce qui les rendait Ă tout le moins pitoyables, les hĂ©ros de la tragĂ©die familiale deviennent sous le regard dĂ©capant de Jason les acteurs fortement typĂ©s dâune sorte de mĂ©lo burlesque ou de tragĂ©die bouffe Ă mi-chemin de Caldwell et de Tennessee Williams le pĂšre et lâoncle poivrots, la mĂšre neurasthĂ©nique, la niĂšce gourgandine, le frĂšre idiot, tels sont les protagonistes de la troisiĂšme section. Et lâon nâest pas surpris dĂšs lors que le rĂ©cit de leurs malheurs tourne promptement Ă la farce. 6Autre langage, autre voix, autre regard. Le rapport du romancier au personnage-narrateur se modifie radicalement et la position du lecteur sâen trouve Ă son tour bouleversĂ©e. Avec Benjy, câĂ©tait la perplexitĂ© devant un texte incohĂ©rent et inassignable. Le monologue de Quentin, en revanche, nous entraĂźnait dans les tourbillons dâun discours imaginaire et sollicitait donc une identification au personnage. Dans la troisiĂšme section, toute possibilitĂ© dâidentification semble ruinĂ©e dâavance par lâironie du romancier. Entre celui-ci et Jason comme entre Jason et nous la distance est Ă©gale Ă celle qui sĂ©pare Jason des objets de sa raillerie, et elle est presque de mĂȘme nature distance comique, essentiellement, sauf que le rire du lecteur finit par se glacer devant tant de noirceur dâĂąme. 137 Voir LIG, p. 149. 7Jason, on le sait, reprĂ©sentait pour Faulkner le mal absolu » et lâon veut bien le croire lorsquâil affirme y avoir mis tout ce quâil abhorrait137. Il nâempĂȘche que distanciation et identification sont ici Ă lâĆuvre comme dans la section prĂ©cĂ©dente. Pas de la mĂȘme maniĂšre ni dans les mĂȘmes proportions. Mais de mĂȘme quâon se mĂ©prendrait Ă ne voir en Quentin quâune projection autobiographique plus ou moins romancĂ©e, on aurait tort de croire que Jason a Ă©tĂ© conçu Ă froid, du dehors, par un romancier qui lui serait totalement Ă©tranger. Jason a ce privilĂšge que Faulkner rĂ©serve Ă ses grandes figures du mal de sâimposer Ă nous comme une prĂ©sence » immĂ©diate et irrĂ©cusable. Lâaurait-il, cette prĂ©sence, si son crĂ©ateur ne lâavait nourri de ses propres venins ? 138 James Dahl, âA Faulkner Reminiscence Conversations with Mrs. Maud Falknerâ, Journal of Modem Lite ... 139 â[...] le PĂšre, câest le Parleur, celui qui tient des discours hors du faire, coupĂ©s de toute produ ... 8InterrogĂ© sur ce roman en 1953, Mrs. Maud Faulkner, la mĂšre de lâĂ©crivain, fit ces rĂ©flexions Ă©tonnantes Eh bien Jason, dans Le Bruit et la fureur â il parle exactement comme mon mari. Mon mari avait Ă un moment donnĂ© une quincaillerie dans la ville haute. Sa façon de parler Ă©tait tout Ă fait comme celle de Jason, les mĂȘmes mots, le mĂȘme style. Tous ces vous savez ». Il avait aussi un vieux nĂšgre du nom de Jobus, tout comme le personnage de Job dans lâhistoire. Il Ă©tait tout le temps aprĂšs Job parce quâil ne travaillait pas assez, exactement comme dans lâhistoire138 ». Ă en croire ce tĂ©moignage dâautant plus savoureux quâil Ă©mane de la mĂšre, les sources seraient donc toutes proches, et que ce personnage bouffon et mĂ©prisable ait Ă©tĂ© modelĂ©, au moins en partie, sur le pĂšre de Faulkner est une possibilitĂ© qui ne laisse pas dâintriguer. Jason, serait-ce le fils Ă©crivain jouant au pĂšre parleur139 ? LâhypothĂšse nâest en tout cas pas Ă exclure que son monologue ait Ă©tĂ© pour Faulkner une maniĂšre de rĂšglement de comptes avec le pĂšre, raillĂ© dans ce qui est le symbole mĂȘme de son autoritĂ© sa parole, sa voix. 9Mais parler comme le pĂšre, câest aussi sâidentifier Ă lui, se reconnaĂźtre en lui. Faulkner tenait de son pĂšre mĂ©prisĂ© et Jason tient de Faulkner, comme Smerdiakov de DostoĂŻevski. Mais laissons lĂ ces spĂ©culations. Notre propos nâest pas de faire le compte des modĂšles et des sources ni mĂȘme seulement de dĂ©terminer quels rapports les personnages entretiennent avec lâauteur, mais plutĂŽt de les apprĂ©hender Ă partir de lâĆuvre elle-mĂȘme, comme figures liĂ©es les unes aux autres dans le rĂ©seau dâun texte. La voix du sang 140 Nous prenons ce terme avec toutes les connotations quâil a prises depuis Nietzsche. Etat de faibles ... 10Dans la troisiĂšme section on change de clef, mais la partition est presque la mĂȘme. Sauf Ă ĂȘtre retournĂ©e. Ainsi la relation frĂšre-sĆur, Ă peine moins dĂ©cisive, change ici de signe ce qui lie Jason Ă Caddy est la haine, une haine aussi intense et aussi irrĂ©pressible que lâamour de Benjy et lâamour-haine de Quentin. Pour lui comme pour eux la sĆur aura Ă©tĂ© lâinstrument du dĂ©sastre. NâeĂ»t Ă©tĂ© son inconduite, Jason aurait pu avoir une position Ă la banque de son beau-frĂšre. Aussi lâenfant illĂ©gitime quâelle a dĂ» lui laisser en otage est-il devenu pour lui le symbole mĂȘme de la position perdue » 619/383-384. Pour Jason la figure de Caddy est donc Ă©galement associĂ©e au malheur dâune perte, mais plus encore que Quentin il a ressenti cette perte comme une offense, une insulte â en faulknĂ©rien an outrage. Et il y rĂ©agira autrement aux cris et aux gĂ©missements de Benjy, au dĂ©sespoir de Quentin rĂ©pondent dans le troisiĂšme monologue la rage et le ressentiment140. 141 Sur ce que Jason doit Ă la âphilosophieâ de son pĂšre, voir le judicieux essai de Duncan Aswell, âTh ... 11Mais bon sang ne saurait mentir. Parce que, comme je dis, le sang est le sang et on nây peut rien » 564/303 Jason ne croit pas si bien dire lorsquâil invoque lâatavisme familial pour expliquer les fredaines de sa niĂšce, ironiquement la rĂ©flexion vaut aussi bien pour lui. A lâentendre, il nây aurait pas homme plus raisonnable que lui en ce monde de fous et de crĂ©tins. 11 croit et voudrait nous faire accroire quâil nâa rien de commun avec les autres Compson â illusion maintes fois dĂ©mentie par ses actes, bien quâil soit un outsider et lâait Ă©tĂ© depuis son enfance. Sa mĂšre se fĂ©licite de ce quâil soit un vrai Bascomb » et a pour lui les tendres Ă©gards quâelle refuse Ă ses autres enfants. Tel Jewel, le fils favori dâAddie Bundren dans Tandis que jâagonise, Jason a Ă©tĂ© marquĂ© par ce traitement prĂ©fĂ©rentiel, mais comme Mrs. Compson nâa de vĂ©ritable amour que pour elle-mĂȘme, il nâa guĂšre Ă©tĂ© plus quâun pion dans le jeu dĂ©vastateur quâelle nâa cessĂ© de jouer avec les siens. Sa seule rĂ©ussite est de lâavoir isolĂ© du reste de la famille et de lâavoir façonnĂ© Ă son image. Câest dâelle quâil a hĂ©ritĂ© son fĂ©roce Ă©goisme, sa bonne conscience, sa mauvaise foi, son souci de respectabilitĂ© et jusquâĂ ses migraines. Mais il est curieux de voir que Jason est aussi le paradoxal hĂ©ritier de la philosophie paternelle, dont il adopte les principes pour sâen faire une rigide rĂšgle de vie. Et son inflexible logique, en Ă©rigeant le scepticisme de Mr. Compson en dogme, va nous administrer â nouveau tour de lâironie faulknĂ©rienne â la preuve par lâabsurde de son inanitĂ©141. 142 Voir LIG, p. 147. 12Non moins surprenantes sont les Ă©troites ressemblances qui unissent Jason et Quentin. Le contraste est certes le plus Ă©vident, et lâon sait que Jason fut initialement conçu pour servir de repoussoir Ă son frĂšre142. A cĂŽtĂ© de Quentin, Jason est assurĂ©ment un allĂšgre extraverti. Il sâaccommode du monde et sây affaire de toute son Ă©nergie brouillonne quand Quentin le refuse et en meurt. A lâidĂ©alisme Ă©corchĂ© de celui-ci on a pu opposer le pragmatisme froidement calculateur de celui-lĂ . Au-delĂ de ces diffĂ©rences, cependant, on bute chez lâun et lâautre contre le mĂȘme irrĂ©fragable noyau de narcissisme ou, pour reprendre le terme plus ambigu de Faulkner, la mĂȘme innocence ». Jason nâest que le nĂ©gatif de son frĂšre, un Quentin moins vulnĂ©rable, plus sanguin, plus pugnace, qui, plutĂŽt que de succomber au dĂ©sespoir, aurait tournĂ© Ă lâaigre. Le persĂ©cuteur persĂ©cutĂ© 143 Faulkner multiplie dans les deux premiĂšres sections les signes qui annoncent son comportement dâadu ... 13DĂ©viĂ©e par la culpabilitĂ©, intĂ©riorisĂ©e dans la nĂ©vrose, retournĂ©e contre le moi, lâagressivitĂ© de Quentin avait fini par trouver sa conclusion logique dans le suicide. Rien de tel chez Jason, qui ne rate pas une occasion de faire le mal et se dĂ©lecte de la souffrance dâautrui. Enfant, il dĂ©coupait avec des ciseaux les poupĂ©es de Benjy. Au mĂȘme Ăąge, Popeye en faisait autant avec des perruches et des chatons. Moins violent que lâavorton de Sanctuaire, Jason se rattrape par une cruautĂ© mentale non moins abjecte, et pour les coups tordus, les vacheries cousues main, les perfidies longuement mijotĂ©es, il est assurĂ©ment imbattable. Comme il jubile au souvenir du bon tour jouĂ© Ă Caddy, qui voulait revoir sa fille, ne fĂ»t-ce quâ une minute », et quâil a si finement BouĂ©e cf. 528-529/254-255 ! Et comme il est content de brĂ»ler les deux billets pour le cirque sous le nez du pauvre Luster 574/317-318 ! Un grand garçon comme vous », lui dit Dilsey, qui devine le petit monstre sous lâadulte sadique. Ă sa maniĂšre, Jason est en effet restĂ© fidĂšle Ă son enfance tout comme Benjy et Quentin143. 14A lâintĂ©rieur du cercle familial sa mĂ©chancetĂ© peut sâĂ©panouir en toute quiĂ©tude. En dehors, elle ne jouit pas de la mĂȘme impunitĂ©, et dans ses rapports socio-professionnels Jason aurait intĂ©rĂȘt Ă se tenir sur ses gardes. Or, son animositĂ© est si irrĂ©pressible quâelle Ă©clate partout au moindre prĂ©texte. Dans toutes les conversations relatĂ©es dans son monologue ses propos ne sont que fiel et vinaigre il est grincheux avec son ex-associĂ© Earl qui est en fait son patron depuis quâil a retirĂ© son argent du magasin pour sâacheter une voiture et plein de condescendance avec les Noirs et les petits fermiers qui viennent sâapprovisionner Ă la quincaillerie ; il morigĂšne le tĂ©lĂ©graphiste, coupable de ne pas lâinformer Ă temps des fluctuations de la bourse ; se dispute avec le shĂ©rif qui refuse de lâaider Ă retrouver lâargent volĂ© par sa niĂšce, et finit par se faire assommer par un vieillard quâil a traitĂ© de menteur. Jason flaire partout la trahison, soupçonne tout un chacun de vouloir lui nuire et voit en tout homme un adversaire Ă abattre. 144 Par moments Jason semble mĂȘme tirer un plaisir masochiste de ses humiliations, en particulier au co ... 15Câest dire quâil ne peut concevoir autre que lui-mĂȘme, que tout homme est son semblable, un autre Jason. Le monde lui renvoie, agrandi et multipliĂ©, son propre reflet, sa propre grimace. Ă lâentendre, on pourrait croire quâil ne se bat que pour survivre et nâagresse que pour se dĂ©fendre. En fait il nâagresse que pour ĂȘtre Ă son tour agressĂ©, comme sâil avait besoin des ripostes et des reprĂ©sailles que. dĂ©clenchent ses provocations pour ĂȘtre justifiĂ© et confirmĂ© dans son rĂŽle de victime144. 145 Voir, par exemple, Charles D. Peavy, âJason Compsonâs Paranoid Pseudocommunityâ, Hartford Studies i ... 16Paranoia ? La critique lâa Ă©voquĂ©e Ă son propos et Jason en a en effet la logique roide et folle145. Le jour de PĂąques, lors de la poursuite de Quentin et de lâhomme-Ă -la-cravate-rouge, elle le conduira jusquâau dĂ©lire de persĂ©cution. Ă premiĂšre vue, Jason peut sans doute paraĂźtre plus simple que Quentin et câest dâailleurs lâimage quâil cherche Ă donner de lui-mĂȘme dans son monologue, mais il sâen faut quâil ne soit dâune piĂšce. Les objets du ressentiment 17De Benjy Ă Quentin, de Quentin Ă Jason il nây a pas de solution de continuitĂ©. Benjy, câest un peu la statue de Condillac Ă ses dĂ©buts sensation et mĂ©moire de la sensation ; Quentin et Jason en apparaissent comme les complications » successives. On y retrouve les mĂȘmes Ă©lĂ©ments de base, mais combinĂ©s et accentuĂ©s diffĂ©remment. Cette identitĂ©-dans-la-diffĂ©rence, rien ne lâillustre mieux que le glissement des obsessions privĂ©es aux fantasmes collectifs qui se produit dans la section 3. 18Nous avons dĂ©jĂ notĂ© que, des trois premiers monologues du roman, celui de Jason Ă©tait de loin le plus socialisĂ©. Contrairement Ă Benjy et Ă Quentin, tous deux asociaux, lâun par dĂ©bilitĂ© mentale, lâautre par introversion nĂ©vrotique, Jason se dĂ©finit par son rapport Ă la sociĂ©tĂ© autant que par ceux quâil entretient avec la famille. 19Singulier rapport, fait de conformisme et de rĂ©volte. Si le ressentiment de Jason est sans limites ni discernement, il est en effet remarquable que les objets sur lesquels il se fixe soient si souvent ceux que lui dĂ©signent les prĂ©jugĂ©s de son milieu et de son temps. MĂȘme sa causticitĂ© est sans surprises les victimes de ses plaisanteries les plus anodines sont lâavare, le provincial, la vieille fille, le pasteur, câest-Ă -dire les personnages les plus stĂ©rĂ©otypĂ©s de lâhumour populaire. Plus rĂ©vĂ©lateur, dĂ©jĂ , est son mĂ©pris pour les intellectuels, les professeurs dâUniversitĂ© qui ne possĂšdent mĂȘme pas une paire de chaussettes et qui vous enseignent comment gagner un million en dix ans » 569/31 1. Lâanti-intellectualisme fait gĂ©nĂ©ralement bon mĂ©nage avec la xĂ©nophobie. Jason ne dĂ©roge pas Ă la rĂšgle [...] câest tout de mĂȘme dĂ©goĂ»tant que nâimporte quel sale Ă©tranger, incapable de gagner sa vie dans le pays oĂč Dieu lâa fait naĂźtre, puisse venir sâinstaller ici et voler Ă mĂȘme la poche des AmĂ©ricains 518/239. 20Champion de lâamĂ©ricanisme, hostile aux Ă©trangers, il a bien entendu aussi la haine du Sudiste pour le Yankee et ne cesse de fulminer contre ces requins de lâEst » 540/270. On ne sâĂ©tonnera pas non plus que Jason ait des prĂ©jugĂ©s ethniques. Il nâaime pas les Juifs, encore que son antisĂ©mitisme sâexprime avec ce quâil faut dâhypocrisie pour lui donner les apparences de la respectabilitĂ© Je donne Ă chacun ce qui lui revient, sans distinction de religion ou de quoi que ce soit. Je nâai rien contre les Juifs en tant quâindividus, dis-je. Câest la race. Vous avouerez quâils ne produisent rien. Ils suivent les pionniers dans les pays neufs et leur vendent des vĂȘtements 517/237-238. 21Et il est Ă peine besoin de prĂ©ciser ce que Jason pense des Noirs Ce quâil faut Ă ce pays, câest de la main-dâĆuvre blanche. Quâon laisse ces sales faineants de nĂšgres crever de faim pendant un an ou deux et ils se rendront compte alors Ă quel point ils se la coulent douce 516/237.Comme je dis Le seul endroit qui leur conviendrait, câest les champs oĂč ils seraient obligĂ©s de travailler du lever au coucher du soleil. Ils ne peuvent pas supporter la prospĂ©ritĂ© ou un travail aisĂ©. Un bref contact avec les Blancs, et ils ne valent plus la corde pour les pendre. Ils en arrivent au point que, pour ce qui est du travail, ils peuvent vous mettre dedans sous votre nez, comme Roskus dont la seule erreur fut de se laisser mourir un jour, par inadvertance. Tirer au flanc, voler, vous faire chaque jour des boniments nouveaux jusquâau moment oĂč il vous faut leur flanquer une volĂ©e de bois vert ou dâautre chose 570/312-313. 146 â[...] on nâest pas nĂ©cessairement humble ni mĂȘme modeste parce quâon a consenti Ă la mĂ©diocritĂ©. C ... 22Le Noir, le Juif, lâĂ©tranger, lâintellectuel, voilĂ autant dâavatars de lâAutre honni et dĂ©testĂ©. Selon les recettes Ă©prouvĂ©es de lâintolĂ©rance et du racisme, Jason les fige en catĂ©gories abstraites, les rĂ©duit Ă des prĂ©dicats immuables les Juifs sont mercantiles et parasites, les Noirs flemmards et chapardeurs, etc. Ainsi prĂ©jugĂ©s de nation, de rĂ©gion, de classe et de race viennent offrir un exutoire au trop-plein de ses aigreurs en mĂȘme temps quâils lui permettent de rejoindre lâĂ©lite des mĂ©diocres146 ». CosĂŹ fan tutte 23De ces prĂ©jugĂ©s et de ces phobies la misogynie est le complĂ©ment attendu. Jason est aussi sexiste que raciste. Comme sur les Juifs et les Noirs, il a sur les femmes sa provision dâidĂ©es toutes faites et, comme eux, son discours les dĂ©shumanise en les rĂ©duisant Ă lâanimalitĂ© si les Juifs sont des requins 540/270 et les Noirs des singes 572/315, les femmes sont des chiennes 507, 582/223, 329. On notera aussi la maniĂšre dont Jason classe leurs actions et objective leurs comportements. Quoi quâune femme puisse faire, elle ne peut rien faire qui le puisse surprendre Câest bien ça, les femmes », sâexclame-t-il lorsque le chĂšque de Caddy lui parvient avec six jours de retard 516/236. Lâennui, câest que les femmes ne soient prĂ©visibles que dans leur imprĂ©visibilitĂ© et quâil faille sans cesse se rappeler quâ une femme est capable de tout » 563/303. 24Câest pourquoi la femme est pour Jason lâadversaire par excellence. DĂ©raison faite chair, elle est un dĂ©fi permanent Ă ses calculs, une menace impossible Ă conjurer. Ses craintes semblent au demeurant justifiĂ©es Ă deux reprises il sera flouĂ© par une femme, la premiĂšre fois par Caddy, qui lui fait perdre la situation promise, la deuxiĂšme fois par sa fille Quentin qui, en se sauvant avec lâargent quâil lui avait si astucieusement et si patiemment volĂ©, rĂ©duira de nouveau ses rĂȘves dâavare Ă nĂ©ant. 25La misogynie de Jason diffĂšre de celle de Quentin, mais elle naĂźt du mĂȘme soupçon et le conduit pareillement Ă figer la fĂ©minitĂ© dans lâabstraction dâun stĂ©rĂ©otype. Pour Quentin elle se confondait avec lâidole blanche et muette de la virginitĂ©, mais lâanalyse de son monologue nous a dĂ©jĂ montrĂ© combien il fallait se mĂ©fier de cette image et quels en Ă©taient les troubles dessous. En vĂ©ritĂ©, les propos de Jason ne font que traduire en clair et en vulgaire ce que suggĂ©raient les morbides soupçons de Quentin, Ă savoir que toutes les femmes sont des putains. Evidence inavouable et inacceptable aux yeux de Quentin, qui sâefforçait de la masquer sous les nobles oripeaux de lâidĂ©alisme courtois. Jason, lui, en prendra allĂšgrement son parti en choisissant pour maĂźtresse une brave fille de putain » 555/291. Ă faire de la femme une simple commoditĂ© sexuelle, il croit pouvoir en jouir sans risque et dâautant plus sĂ»rement quâil a pris soin dâĂ©tablir sa liaison avec Lorraine sur une base exclusivement vĂ©nale. 26Le cynisme que Jason peut si aisĂ©ment mettre en pratique avec sa docile maĂźtresse ne lui sert toutefois Ă rien lorsquâil sâagit de Caddy et de sa fille. Celle-ci est lâobjet prĂ©fĂ©rĂ© de sa rage et de sa haine, lâargent est son unique objet dâamour. Or, il nâest pas indiffĂ©rent que ces deux passions soient liĂ©es lâune et lâautre Ă la figure de la sĆur. Caddy joue pour lui le rĂŽle de pourvoyeuse elle lâĂ©tait dĂ©jĂ , virtuellement, au moment de son mariage puisque celui-ci devait assurer Ă Jason une position confortable Ă la banque du beau-frĂšre ; elle lâest, au prĂ©sent, rĂ©ellement, puisque depuis quinze ans il lui vole les deux cents dollars quâelle envoie chaque mois pour sa fille. En dâautres termes, câest de Caddy quâil attend la satisfaction de ses plus chers dĂ©sirs, en quoi il nâest pas sans rappeler Benjy et Quentin. On pourrait dire que chez Jason lâambivalence de Quentin Ă lâĂ©gard de Caddy, au lieu dâĂȘtre intĂ©riorisĂ©e, a Ă©tĂ© Ă la fois dissociĂ©e et dĂ©placĂ©e. Question dâĂ©conomie. LâhypothĂšse est dâautant plus plausible que le rapport de Jason Ă sa niĂšce apparaĂźt lui-mĂȘme comme le produit dâun dĂ©placement ou dâun remplacement et que celle-ci en vient presque Ă occuper dans son monologue la place tenue par Caddy dans les sections prĂ©cĂ©dentes. 27Jason et sa niĂšce deviennent ainsi les doublures de Quentin et de sa sĆur. MalgrĂ© quâil en ait, Jason est aussi prĂ©occupĂ© par les escapades de sa niĂšce que Quentin lâĂ©tait par lâinconduite de sa sĆur. Sans doute nâest-ce pas pour les mĂȘmes raisons. Mais entre le sens de lâhonneur de Quentin et le souci de respectabilitĂ© de Jason il nây a quâune diffĂ©rence de degrĂ©, et ce souci sâaffirme avec tant de force et de passion que lâhypocrisie seule ne suffit pas Ă en rendre compte. Jason, apparemment, se moque du dĂ©vergondage de sa niĂšce Comme je dis elle peut bien coucher nuit et jour avec tout ce qui porte culotte dans la ville, je mâen fous 562/300. 28Mais bientĂŽt la colĂšre lâemporte Ces sacrĂ©s petits godelureaux avec leurs cheveux gommĂ©s, qui se donnent des airs de faire le diable Ă quatre. Je leur montrerai, moi, ce que câest que le diable pour de vrai. Je lui ferai croire que sa sacrĂ©e cravate rouge est le cordon des portes de lâenfer sâil se figure quâil peut aller courir les bois avec ma niĂšce 562/301. 29Comme Quentin, Jason fulmine contre les godelureaux » de la ville et, dĂ©tail rĂ©vĂ©lateur, il les dĂ©signe du mĂȘme terme squirt dans lâoriginal ; cf. section 2, 466/166 Câest pour lâavoir permis Ă un sale godelureau de la ville que je tâai giflĂ©e ». Sa fureur fait ici penser au dĂ©pit de son frĂšre Ă lâĂ©poque des premiers rendez-vous amoureux de Caddy. Semblablement, dans la scĂšne qui lâoppose Ă sa niĂšce au dĂ©but de la section 3 509-515/227-235, sa brutalitĂ© rappelle jusque dans les gestes lâagressivitĂ© de Quentin envers Caddy. En outre, lâattitude de dĂ©fi que prend la niĂšce au cours de cette confrontation ne laisse pas dâĂ©voquer le souvenir de Caddy narguant son frĂšre, et lorsquâelle menace Jason de dĂ©chirer sa robe, lâon songe aussitĂŽt Ă la scĂšne prĂšs du ruisseau oĂč la petite Caddy, par bravade, avait enlevĂ© la sienne. Dans les deux scĂšnes il y a provocation dĂ©libĂ©rĂ©e et lâeffet produit est chaque fois le mĂȘme lâimpudeur fĂ©minine affole Jason comme elle avait effarouchĂ© la pruderie du jeune Quentin, pour lâun et lâautre la chair dĂ©nudĂ©e est scandale. Dans le monologue de Jason, les bois deviennent comme dans lâunivers puritain de Hawthorne le lieu secret de la luxure Tu vas te cacher dans les bois avec un de ces sacrĂ©s godelureaux Ă cheveux gominĂ©s ? Câest lĂ que tu vas ? » 511/229. Obsession sexuelle et prĂ©jugĂ© racial se conjuguent dans lâimage de la prostituĂ©e noire [...] je ne tolĂ©rerai pas quâun membre de ma famille aille se galvauder comme une vulgaire nĂ©gresse » 515/234. Or, le mĂȘme langage disait dĂ©jĂ les hantises de Quentin Pourquoi faut-il que tu te conduises comme les nĂ©gresses dans les prĂ©s les fossĂ©s les bois sombres ardentes cachĂ©es furieuses dans les bois sombres » 429/113-114. Tout en faisant mine dâĂȘtre scandalisĂ© par le maquillage et les dĂ©shabillĂ©s indĂ©cents de sa niĂšce, Jason en est du reste secrĂštement titillĂ© et peu sâen faut quâil ne cĂšde Ă ses dĂ©mangaisons lubriques [...] si, dans ma jeunesse, une femme Ă©tait sortie, mĂȘme dans Gayoso ou Beale Street, avec aussi peu de chose sur les jambes et sur le cul, on nâaurait pas tardĂ© Ă la foutre en prison. Du diable si, Ă les voir habillĂ©es de la sorte, on ne croirait pas quâelles ne cherchent quâĂ se faire peloter les fesses par tous les hommes quâelles croisent dans la rue 554/289. 147 John Longley, The Tragic Mask A Study of Faulknerâs Heroes, Chapel Hill, The University of North ... 30Dans la surveillance constante que Jason exerce sur sa niĂšce il y a une part Ă©vidente de voyeurisme voilĂ qui rappelle encore Benjy et surtout Quentin, et sâil met tant dâobstination et de frĂ©nĂ©sie Ă la pourchasser lorsquâelle sâest enfuie avec lâhomme-Ă -la-cravate-rouge, ce nâest pas seulement pour reprendre possession de son » argent, mais aussi dans lâespoir de la surprendre en flagrant dĂ©lit sexuel. Comme toute haine, celle qui lie Jason Ă la fille de Caddy est ambivalente et peut-ĂȘtre nâest-ce pas aller trop loin que dây voir la manifestation dâune attirance incestueuse profondĂ©ment refoulĂ©e147 ». 31Ces rappels dâimages, cette symĂ©trie des comportements, cette analogie des situations rendent certes le contraste entre le passĂ© et le sordide prĂ©sent dâautant plus frappant. La relation Jason-Quentin II nous apparaĂźt comme la cruelle parodie de la relation Quentin-Caddy. A la place des pathĂ©tiques querelles dâenfants et dâadolescents Ă©voquĂ©es dans le monologue de Quentin, nous avons ici des scĂšnes dâune stridente vulgaritĂ© qui donnent la mesure de lâavilissement oĂč est tombĂ©e la famille Compson sous le rĂšgne de Jason. Tout prend dans la troisiĂšme section une couleur plus sinistre. Peut-ĂȘtre aussi une couleur plus vraie, un ton plus franc. Et la vĂ©ritĂ© qui se fait ainsi jour accuse Quentin aussi bien que Jason. AprĂšs tout, lâinfluence que Quentin a exercĂ©e sur sa sĆur nâa pas Ă©tĂ© moins dĂ©vastatrice que celle de Jason sur sa niĂšce. Sous une forme plus insidieuse, son amour a produit les mĂȘmes effets que la haine. Vous mâavez rendue comme ça », dit la fille de Caddy Ă Jason, je voudrais ĂȘtre morte. Je voudrais que nous soyons tous morts » 578/324. Chez Caddy il y avait dĂ©jĂ le mĂȘme dĂ©sespoir, la mĂȘme conscience dâĂȘtre une fille perdue » 487/196, et au lieu dâinvoquer la fatalitĂ©, celle-ci aurait pu Ă©galement accuser Quentin de lâavoir corrompue. Victimes, qui dâun frĂšre jaloux, qui dâun oncle vindicatif, Caddy et sa fille finissent toutes deux par reconnaĂźtre leur visage de damnĂ©es dans le miroir malĂ©fique que leur tendent ces deux juges sans pitiĂ©. Sans doute Quentin et Jason ne sont pas les seuls artisans de leur destin, mais dans leur rĂŽle de persĂ©cuteurs ils contribuent plus efficacement que quiconque Ă faire dâelles des femmes perdues ». Le romancier, au bout du compte, renvoie les deux frĂšres dos Ă dos Jason, câest Quentin le censeur devenu bourreau ; Quentin, câest Jason avec les alibis de lâidĂ©al et les faux-fuyants de la vertu. La troisiĂšme section nâest pas seulement une grinçante rĂ©pĂ©tition de la seconde ; elle en est aussi la brutale dĂ©mystification. Temps et contretemps 32Egalement incapables de nouer avec autrui des relations qui ne soient rĂ©pressives et destructrices, Jason et Quentin se ressemblent aussi dans leur refus du rĂ©el et dans lâĂ©chec auquel les conduit ce refus. Echec qui pour lâun et lâautre est avant tout un Ă©chec Ă vaincre le temps. Ă premiĂšre vue, il est vrai, lâattitude que Jason adopte Ă lâĂ©gard du temps peut paraĂźtre plus normale que celle de son frĂšre. Mais sâil ne vit pas dans la hantise constante du passĂ© et nâa que mĂ©pris pour la tradition sudiste, il nâest pas sans mĂ©moire et parmi ses souvenirs, il nâen est pas de plus cuisant que celui de lâoutrage » que lui a fait subir Caddy en le privant de la position promise. Dans son monologue les retours en arriĂšre nâoccupent pas autant de place que chez Quentin ; il est nĂ©anmoins remarquable que le seul long flashback » qui y apparaisse concerne les retours de sa sĆur Ă Jefferson 527-530/251-256. La diffĂ©rence entre les deux frĂšres Ă cet Ă©gard tient essentiellement Ă ce que, au lieu de ressasser indĂ©finiment ses griefs contre Caddy, Jason sâemploiera activement Ă obtenir rĂ©paration de lâaffront subi. De lĂ que lâobsession du temps tourne chez lui Ă lâobsession de lâavenir. Le futur, pour Jason, est lâappel de la vengeance ; il est, Ă la lettre, ce qui devra lui permettre de rĂ©gler ses comptes avec le passĂ©. 33DĂšs lors, il ne sâagit plus de fuir le temps, mais de le rattraper. Aussi, des incessantes allĂ©es et venues entre le magasin, le bureau du tĂ©lĂ©graphe et son domicile, rapportĂ©es dans la troisiĂšme section, Ă la folle poursuite de la niĂšce et de lâhomme-Ă -la-cravate-rouge dĂ©crite dans la section finale, la vie de Jason nâest-elle quâune longue et Ă©puisante course contre la montre. Lâeffet comique produit par le rĂ©cit de ses mĂ©saventures dĂ©rive en grande partie de leur rythme de plus en plus rapide, de plus en plus saccadĂ© on songe Ă la trĂ©pidation incongrue qui sâempare des acteurs dans les films burlesques des temps du muet ; une lĂ©gĂšre accĂ©lĂ©ration de leurs mouvements suffit Ă les transformer en pantins gesticulants. Jason semble ĂȘtre de ces pantins-lĂ . Toujours pressĂ©, toujours Ă courir aprĂšs des trains en marche et continuellement freinĂ© dans sa course par de fĂącheux contretemps manque de chĂšques en blanc, pneus dĂ©gonflĂ©s, maux de tĂȘte, etc. Plus Jason sâaffole et sâagite, plus il est en retard. Il nâa jamais le temps dâĂȘtre Ă temps. 34Ane trottant derriĂšre sa carotte, Jason est comme Quentin le jouet du temps, mais pour dâautres raisons parce quâil en a fait une idole, un ersatz dâĂ©ternitĂ©. Quentin rĂȘvait dâune Ă©ternitĂ© en quelque sorte verticale qui surplomberait le temps. Celle de Jason, homme de progrĂšs », est un mirage en avant, dans lâaxe horizontal de la durĂ©e câest dans le temps quâil fuit le temps. 35Evasion illusoire [...] laissez-moi seulement vingt-quatre heures » 582/329, implore-t-il Ă la fin de son monologue. Ces vingt-quatre heures, câest ce qui le sĂ©pare de la rĂ©alisation de son rĂȘve dâavare, rĂȘve qui, Ă tout prendre, nâest pas si Ă©loignĂ© de celui de Quentin. Car lâun et lâautre cherchent Ă thĂ©sauriser, Ă mettre quelque chose Ă lâabri du changement pour lâavoir tout Ă soi. Pour Quentin, câest le trĂ©sor » de la virginitĂ© de Caddy quâil importait de prĂ©server intact ; chez Jason le mĂȘme besoin de sĂ©curitĂ© et de possession se traduira plus prosaĂŻquement par lâamour du dollar et trouvera sa plus juste mĂ©taphore dans le coffre-fort oĂč il enferme lâargent volĂ© Ă Caddy. Mais Jason va perdre ses Ă©conomies », comme Quentin avait perdu sa sĆur. Ses calculs, ses ruses, ses prĂ©cautions ne le sauvent pas du dĂ©sastre, sa logique se rĂ©vĂšle aussi impuissante Ă le conjurer que les folles divagations de Quentin. LâimbĂ©cile 148 âAppendiceâ, p. 465/âAppendixâ, p. 420. 36Dans son Appendice » au roman, Faulkner nous dit que Jason est le premier Compson depuis des gĂ©nĂ©rations Ă ĂȘtre sain dâesprit » et le dĂ©finit par ces trois termes logique, rationnel, maĂźtre de soi148 ». La remarque est Ă©videmment Ă prendre cum grano salis car tout le discours de Jason sa forme comme son contenu la dĂ©ment. Jason est aussi illogique, aussi irrationnel et aussi peu maĂźtre de soi que Quentin, et ses efforts pour imposer au monde son ordre, loin de le distinguer de ses frĂšres, ne font que confirmer la ressemblance. Sans doute est-ce Ă une pure et froide rationalitĂ© quâil aspire Ă preuve son lĂ©galisme tatillon et son dĂ©sir de rĂ©duire toute relation personnelle Ă un arrangement commercial. Mais plus encore que par lâimprĂ©visibilitĂ© des ĂȘtres et des Ă©vĂ©nements sa volontĂ© de raison et dâordre est bafouĂ©e par sa propre dĂ©raison. Et ce nâest pas seulement dans ses dĂ©mĂȘlĂ©s avec sa famille quâil perd son sang-froid ; mĂȘme en affaires, il se montre incapable de la moindre dĂ©cision rĂ©flĂ©chie. Comme businessman, Jason fait piĂštre figure. Il a beau ĂȘtre cupide et cynique, rien ne lui rĂ©ussit. Comme le lui fait remarquer Job, le vieux Noir employĂ© Ă la quincaillerie, lâexcĂšs mĂȘme de sa mĂ©fiance se retourne contre lui Vous ĂȘtes trop malin pouâ moi. Yâen a pas un dans la ville qui pourrait vous battre pour ce qui est dâĂȘtre malin. Vous roulez un homme quâest si malin quâil ne peut mĂȘme pas se suivâ lui-mĂȘme, dit-il [...]â Qui ça ? dis-jeâ Mr. Jason Compson, dit-il [âŠ] » 570/312. 37Ainsi Jason finit par se prendre au piĂšge de sa propre malice. Le rĂ©cit de ses actions confirme tout Ă fait la rĂ©flexion perspicace du vieux Job. Quâil sâagisse de spĂ©culations boursiĂšres sur le coton ou de paris sportifs, ses dĂ©cisions, loin dâĂȘtre calculĂ©es, sont invariablement dictĂ©es par les caprices de son humeur, par la vanitĂ© la plus butĂ©e ou le plus puĂ©ril esprit de contradiction. Trop mĂ©fiant pour croire Ă la chance, trop impulsif pour se fier au raisonnement, Jason est vouĂ© Ă perdre Ă tous les coups. 149 HermĂšs II LâInterfĂ©rence, Paris, Editions de Minuit, 1972, p. 201. 38 Le gĂ©nie », Ă©crit Michel Serres, se reconnaĂźt Ă ce signe que, chez lui, pullulent, vivants et bien en os, les imbĂ©ciles149 ». Exemples MoliĂšre, Balzac, Flaubert, Faulkner. Le monologue de Jason, câest dâabord lâautoportrait somptueux, succulent, dâun imbĂ©cile. 150 Le RĂ©el TraitĂ© de lâidiotie, p. 144. 39LâimbĂ©cile nâest pas idiot, loin de lĂ . Son intelligence nâest rien moins quâinerte et sur ce point nous donnerons raison Ă ClĂ©ment Rosset contre Michel Serres, lorsquâil dit de la sottise quâ elle ne dort jamais150 ». Voyez Jason, comme il se dĂ©pense et se dĂ©mĂšne son intelligence ne cesse dâĂȘtre en Ă©veil, en alerte, toujours Ă lâaffĂ»t dâune bonne aubaine ou dâun mauvais coup. Soulevez-lui le crĂąne ça bourdonne comme une ruche. Jason a la tĂȘte pleine de pensĂ©es. Seulement il pense faux, il pense tordu et son discours ne nous livre en fin de compte quâune grotesque parodie de pensĂ©e logique. Quand on est nĂ©e putain on reste putain » la premiĂšre phrase de son soliloque est son premier sophisme, et câest par des gĂ©nĂ©ralisations-coups de poing de ce type que ses prĂ©jugĂ©s les plus bĂȘtes se feront passer pour des axiomes irrĂ©futables. Inductions spĂ©cieuses, toujours les idĂ©es et les opinions de Jason ne sont rien de plus que les rationalisations grossiĂšres de ses partis pris et de ses rancĆurs. Quand il pense, ce nâest jamais pour comprendre le rĂ©el, mais pour lâescamoter. Il ne raisonne pas, il rationalise ou ratiocine, acharnĂ© Ă trouver Ă tout une explication non pas juste mais rassurante. Pourvu que lâinconnu se rĂ©solve dans lâattendu et le convenu, que le complexe soit rĂ©duit au simple, lâautre au mĂȘme. Ce quâil cherche, câest le succĂ©danĂ© magique dâun systĂšme logique â un systĂšme qui rendait enfin compte de la vaste et sinistre machination dont il se croit et se veut lâinnocente victime. 40Mais pour un paranoĂŻaque, Jason manque singuliĂšrement dâimagination. Non seulement il pense de travers, mais il ne pense jamais seul, il ne cesse de ressasser le dĂ©jĂ -dit. Ses idĂ©es sont toutes de seconde main et lâon sait de quelle friperie elles proviennent. La texture mĂȘme de son discours tĂ©moigne de sa vertigineuse indigence vocabulaire redondant, syntaxe embrouillĂ©e, tics et clichĂ©s. La grammaire de Jason ne vaut guĂšre mieux que sa logique. 41Reste une rhĂ©torique plastronnante, racoleuse, agressive, avec ses aphorismes Ă quatre sous et son bestiaire de foire. Restent aussi dâheureuses trouvailles, des pointes perfides, des mĂ©chancetĂ©s vraies. On peut en aimer lâĂącre saveur. Mais cette rhĂ©torique de fanfaron masque un langage mort, une pensĂ©e morte et meurtriĂšre. Tout sây immobilise en une hideuse grimace nous sommes dans un monde ensorcelĂ© dâessences pĂ©trifiĂ©es oĂč une femme est une femme et un Noir un nĂšgre ». Parce que câest comme ça et pas autrement. 42Quây a-t-il derriĂšre cet amoncellement nausĂ©eux de lieux communs, cette dĂ©bauche de pseudo-logique et de tauto-logique ? Une intelligence aux abois, fĂ©brile mais atrophiĂ©e qui, faute de nourritures plus substantielles, se jette avidement sur son pauvre menu de truismes et de sophismes. Le monologue de Jason ? Un sottisier rageur, un dictionnaire dâidĂ©es reçues dĂ©clamĂ© par un boutiquier en colĂšre. Voix du sens commun et de la bĂȘtise commune, captĂ©e par Faulkner avec une dĂ©lectation toute flaubertienne. 43On comprend mal, dĂšs lors, que la critique faulknĂ©rienne sâobstine Ă dĂ©crire Jason comme un rationaliste », un rĂ©aliste » ou un pragmatiste ». Il nâest rien de tout cela. La raison dont il se rĂ©clame nâest au mieux quâun garde-fou, une fragile barriĂšre pour le protĂ©ger du monde et de lui-mĂȘme. Que surgisse une difficultĂ©, et la voilĂ qui vole en Ă©clats. TĂ©moin la poursuite finale de Miss Quentin. AveuglĂ© par la rage, Jason perd alors toute maĂźtrise de soi, abandonne toute prudence et toute mesure, sâagite comme un forcenĂ©. La folie des Compson, qui fait si souvent les frais de ses quolibets, ne lâa visiblement pas Ă©pargnĂ©. Jason lui-mĂȘme en vient Ă le reconnaĂźtre dans ses rares moments de luciditĂ© Et me voilĂ , sans chapeau, au beau milieu de lâaprĂšs-midi, Ă fouiller toutes les ruelles Ă©cartĂ©es, et tout ça, pour le bon renom de ma mĂšre [...] Jâallai jusquâĂ la rue, mais ils avaient disparu. Et jâĂ©tais lĂ , sans chapeau, comme si jâĂ©tais fou, moi aussi 544/ 289-290. 44La fureur vengeresse de Jason atteindra son paroxysme le dimanche de PĂąques, aprĂšs lâĂ©vasion de la niĂšce et la disparition de lâargent du coffre-fort. DĂšs lors Faulkner nous entraĂźne de nouveau dans un univers de dĂ©lire et de dĂ©raison, Ă©tonnamment proche de celui de Quentin. Comme son frĂšre, en effet, Jason se prend Ă ce point en pitiĂ© et se croit en proie Ă un si profond malheur quâil en dramatise lâenjeu et se projette spontanĂ©ment dans des rĂŽles hĂ©roĂŻques. Quentin se voyait comme le dernier chevalier, le dernier champion des dames » et comparait son suicide imminent Ă la mort sacrificielle du Christ. Semblablement, Jason sâĂ©chauffe jusquâĂ la mĂ©galomanie. Ses ennemis ne sont plus alors une petite traĂźnĂ©e et un vulgaire comĂ©dien de théùtre ambulant, mais les forces adverses de son destin » 619/384. Et voici Jason Ă son tour mĂ©tamorphosĂ© en une sorte de PromĂ©thĂ©e au petit pied ou de Satan miltonien au rabais De temps Ă autre, il passait devant des Ă©glises en bois brut et aux flĂšches de zinc quâentouraient des voitures attachĂ©es et de vieux tacots, et il lui semblait voir en chacune dâelles un poste dâobservation dâoĂč les arriĂšre-gardes de la Circonstance se retournaient pour lui lancer des coups dâĆil furtifs. Et merde pour Toi aussi, dit-il. Essaye donc un peu de mâarrĂȘter ! » Il se voyait dĂ©jĂ arrachant, au besoin, lâOmnipotence de Son TrĂŽne, suivi de son peloton de soldats et du shĂ©rif, menottes aux mains, et il imaginait la lutte des lĂ©gions du ciel et de lâenfer au milieu desquelles il se prĂ©cipitait pour apprĂ©hender enfin sa niĂšce fugitive 618-619/382. 151 Comme le note Duncan Aswell, la scĂšne avec le vieillard âaurait pu sortir tout droit de la journĂ©e ... 45Le retour au rĂ©el se fera par lâexpĂ©rience cuisante de lâhumiliation physique. LĂ encore le rapprochement avec la deuxiĂšme section sâimpose. La bagarre de Jason avec le vieillard de Mottson, qui clĂŽt la chasse Ă la niĂšce, est un singulier pendant Ă la rixe Quentin-Bland Quentin avait essayĂ© de frapper Bland pour venger lâhonneur fĂ©minin, Jason sâen prend tout aussi absurdement Ă un vieil homme quâil ne connaĂźt pas et qui nâen peut mais, pour empĂȘcher le monde entier » 621/385 de dĂ©couvrir son infortune151. Dans les deux scĂšnes il se produit une sorte de quiproquo, de mĂ©prise tragi-comique, la personne agressĂ©e Ă©tant chaque fois le substitut de lâadversaire rĂ©el hors de portĂ©e. Lâon voit que, si Jason nâest pas aussi donquichottesque que son frĂšre, les Ă©garements de sa colĂšre le conduisent pareillement Ă se battre contre des moulins Ă vent. Sa bagarre, comme celles de Quentin, nâest quâun lamentable simulacre, une scĂšne de shadow boxing » qui sâachĂšve dans la dĂ©rision Jason sâĂ©croule et se cogne la tĂȘte contre un rail avant que le petit homme furieux au couperet ait eu le temps de lâapprocher. Plusieurs autres dĂ©tails de la scĂšne accentuent encore lâironie des ressemblances les rĂ©fĂ©rences parallĂšles au saignement 492/203-204 ; 623/388 et, suggĂ©rant directement la comparaison avec Quentin, les questions du tĂ©moin de lâincident, qui croit avoir assistĂ© Ă une tentative de suicide 623/388 et demande Ă Jason si la fille quâil recherche nâest pas sa sĆur 623/389. La suprĂȘme ironie est cependant que Jason, au terme de sa poursuite, se trouve Ă son tour en posture de victime, si dĂ©semparĂ©, si misĂ©rable que sa faiblesse Ă©voque non seulement la pathĂ©tique impuissance de Quentin, mais aussi lâĂ©tat dâextrĂȘme abjection de Benjy. A la fin Jason nâest plus quâun pantin aux ressorts cassĂ©s. Les derniĂšres scĂšnes nous montrent un homme prostrĂ©, annihilĂ© par lâhumiliation de sa dĂ©faite Il resta un moment assis. Il entendit une horloge sonner la demie, puis des gens commencĂšrent Ă passer, endimanchĂ©s et vĂȘtus de leurs costumes de PĂąques. Les uns le regardaient en passant, regardaient cet homme assis tranquillement derriĂšre le volant dâune petite auto, avec sa vie invisible, dĂ©vidĂ©e autour de lui comme une vieille chaussette 624/391. 46A travers lâĂ©chec de Jason, Faulkner finit par faire triompher une maniĂšre de justice poĂ©tique. Situations et rĂŽles se renversent selon les jeux de bascule du théùtre comique lâhistoire de Jason est lâhistoire du voleur volĂ©, du persĂ©cuteur persĂ©cutĂ©, du bourreau transformĂ© en victime. Comme au spectacle de marionnettes, lâon serait tentĂ© dâapplaudir au chĂątiment du mĂ©chant si le romancier nâavait entre-temps changĂ© dâattitude vis-Ă -vis de son personnage. Le Jason quâon vient de voir, seul et abandonnĂ©, affalĂ© derriĂšre le volant de sa petite auto, ne fait plus rire. Ce qui transparaĂźt soudain derriĂšre sa figure de vaincu, câest lâarchĂ©type faulknĂ©rien de lâhomme aux outrages. Non que Jason nous soit devenu brusquement sympathique, mais le mĂ©pris dont il a Ă©tĂ© accablĂ© tout au long du roman le cĂšde ici furtivement Ă ce respect mĂȘlĂ© de pitiĂ© que Faulkner eut lâĂ©lĂ©gance dâaccorder Ă chacune de ses crĂ©atures, fussent-elles aussi viles que Popeye, Flem Snopes et Jason, quand arrive lâheure de la plus grande solitude ou sâapproche lâĂ©chĂ©ance de la mort. 47LâimbĂ©cile, selon lâĂ©tymologie du terme, est dâabord un faible et câest la faiblesse de Jason que nous rĂ©vĂšle la scĂšne de sa dĂ©faite. VoilĂ le monstre dĂ©masquĂ©, la marionnette dĂ©montĂ©e. Ses dĂ©risoires secrets ont Ă©tĂ© Ă©ventĂ©s et pourtant lâĂ©nigme du mal quâil est censĂ© incarner dans le roman reste entiĂšre. Car ce bourreau est aussi une victime et lâon ne peut lui faire porter lâentiĂšre responsabilitĂ© de ses mĂ©faits. Jason est pourri jusquâĂ la moelle, mais la corruption qui est en lui ne vient pas seulement de lui et elle nâest pas non plus lâeffet dâune tĂ©nĂ©breuse fatalitĂ©. La vĂ©ritĂ© du personnage est ailleurs. Le petit bourgeois 48Faut-il en chercher la clef dans la sociĂ©tĂ© sudiste des annĂ©es vingt et trente ? On ne peut en tout cas nĂ©gliger la dimension proprement sociologique du personnage. 49La critique faulknĂ©rienne nâa pas tardĂ© Ă sâapercevoir que le mouvement gĂ©nĂ©ral de Le Bruit et la fureur Ă©tait un mouvement dâexpansion et dâouverture, que dâune section Ă lâautre le centre de gravitĂ© se dĂ©plaçait progressivement du privĂ© au public, de lâindividuel au social. Encore que le monologue de Jason soit en un sens aussi fermĂ© » que ceux de ses frĂšres, et son point de vue aussi Ă©troitement subjectif que celui de Quentin, il invite en effet le lecteur Ă porter son regard au-delĂ de la famille Compson et lui permet ainsi de situer son drame dans un contexte plus large, de dĂ©couvrir quâĂ nous parler des Compson, Faulkner ne cesse de nous parler du Sud, et que lâautre scĂšne » du théùtre familial, câest aussi lâinconscient social. 50Or, cet inconscient-lĂ se manifeste en premier lieu par ses effets de langage, et rien nâest plus remarquable que la maniĂšre dont le social sature le discours de Jason. On remarquera dâabord quâil est le seul Compson Ă parler lâidiome de sa rĂ©gion, le seul Ă sâexprimer dans la langue populaire, et lâon notera Ă©galement quâil est le seul qui soit Ă la recherche dâune identitĂ© sociale. Il nâest pas coupĂ© du monde comme le sont ses frĂšres, il tente de sây affirmer, de sây faire une place [...] jâai une position dans cette ville » 515/234, dit-il Ă sa niĂšce, et on le voit faire des efforts dĂ©sespĂ©rĂ©s pour sauver la façade, pour empĂȘcher que le nom de sa famille ne soit totalement discrĂ©ditĂ© aux yeux de lâopinion. Sans y rĂ©ussir ses concitoyens ne lâestiment guĂšre et la communautĂ© de Jefferson ne semble le tolĂ©rer quâen raison de la place respectable que sa famille y a autrefois tenue. 152 Voir âAppendiceâ, p. 645/âAppendixâ, p. 420. 51Jason est Ă vrai dire trop marginal, trop excentrique pour quâon puisse le considĂ©rer comme typique. Il nâen demeure pas moins quâĂ travers les grossissements et les distorsions de la satire son portrait nous rĂ©vĂšle nombre de traits associĂ©s Ă la mentalitĂ© sudiste. Mais Ă quel Sud Jason appartient-il, lâAncien ou le Nouveau, celui des Sartoris ou celui des Snopes ? Il ne suffit assurĂ©ment pas de dire que Jason est un Snopes avant la lettre. Certes, il a reniĂ© toute allĂ©geance aux traditions de sa famille et de sa communautĂ© et se fĂ©licite cyniquement dâĂȘtre sans conscience morale ; sa cupiditĂ©, sa malhonnĂȘtetĂ©, sa bassesse ne le cĂšdent en rien Ă celles de Flem Snopes. Aussi, dans une sociĂ©tĂ© qui tient ces tares pour vertus, Jason est-il le seul Compson Ă pouvoir survivre. Mais voilĂ qui le distingue dĂ©jĂ de Flem il parvient Ă survivre, il ne fait pas fortune. Selon Faulkner152, Jason Ă©tait le seul de sa famille Ă savoir se mesurer avec les Snopes sur leur propre terrain. En fait, il nâest cependant pas de taille Ă lutter avec Flem, et dans Le Domaine celui-ci nâaura pas plus de mal Ă le gruger que les autres citoyens de Jefferson. 52Ce qui manque Ă Jason, câest la patiente roublardise et la froide dĂ©termination qui feront le succĂšs de Flem. On peut le considĂ©rer Ă la rigueur comme la conscience et la voix du snopesisme, mais il ne nous donne quâune piĂštre image du snopesisme en acte. La raison en est peut-ĂȘtre que sa rapacitĂ© est dâun autre ordre. Les Snopes ont les appĂ©tits voraces et les ambitions vulgaires dâun paysan parvenu et leur ascension est aussi irrĂ©sistible quâune catastrophe naturelle. Jason, en revanche, dernier survivant dâune famille bourgeoise dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e, est pris dans les contradictions paralysantes de son hĂ©ritage. 53On ne saurait donc confondre Jason avec la classe montante des Snopes, non plus quâon ne peut lâidentifier entiĂšrement avec sa classe dâorigine, la classe dĂ©sormais moribonde des Sartoris et des Compson. Jason lui-mĂȘme ne sait pas trĂšs bien quel est son statut social et change dâallĂ©geance selon lâhumeur et les circonstances. TantĂŽt il prend le parti des pauvres fermiers des collines, tantĂŽt il les maudit ou dĂ©nonce leur coupable imprĂ©voyance ; tantĂŽt il raille les prĂ©tentions sociales de sa famille, tantĂŽt il se fait le farouche dĂ©fenseur de lâhonneur des Compson. Il est vrai que Jason se sent plus proche des Bascomb, de la famille petite-bourgeoise de sa mĂšre que des aristocratiques Compson, mais le prestigieux passĂ© de ceux-ci nâest certainement pas Ă©tranger Ă ses hantises. Le terme qui, socialement, le dĂ©finit sans doute le mieux est celui de dĂ©classĂ©. De ce dĂ©classement Jason semble avoir vivement conscience son amertume, son ressentiment y trouvent un aliment inĂ©puisable. 54A travers Jason, Faulkner a tracĂ© le portrait dâun petit bourgeois aigri, et il a fait de lui le porte-parole Ă©loquent de tous les laissĂ©s pour compte de la nouvelle sociĂ©tĂ© sudiste des annĂ©es vingt patriciens dĂ©chus, petits commerçants besogneux, rednecks Ă©crasĂ©s de dettes, tous ceux que les vicissitudes de lâĂ©conomie avaient condamnĂ© Ă croupir dans la gĂȘne et la mĂ©diocritĂ©. Câest de ce semi-prolĂ©tariat rural de petits Blancs » que Jason est le reprĂ©sentant, et son monologue en distille Ă merveille les aigreurs et les rancunes. 55Comme tous les ratĂ©s, Jason se croit victime dâun sort injuste qui lâa privĂ© de son dĂ». DĂ©tail remarquable les rares fois quâil passe du je au nous, câest pour exprimer une sorte de solidaritĂ© rageuse et apitoyĂ©e avec ses anonymes compagnons dâinfortune Je ne vois pas comment une ville pas plus grande que New York peut renfermer assez de gens pour soutirer leur argent Ă des pauvres poires comme nous us country suckers 555/291-292. 56Mais cette prise de conscience dâun sort partagĂ© nâimplique aucune solidaritĂ© rĂ©elle. Pour sâen sortir, Jason ne compte que sur lui-mĂȘme. En bon AmĂ©ricain et en bon Sudiste, il surcompense son sentiment dâimpuissance par un farouche individualisme Du reste comme je dis, je nâai pas besoin quâon mâaide pour faire mon chemin. Je sais me tenir sur mes jambes, comme je lâai toujours fait 530-531/256. 57Les claironnantes affirmations dâindĂ©pendance de Jason sonnent comme un rappel ironique de la lĂ©gendaire fiertĂ© des hommes de la FrontiĂšre », dont il est le descendant, et lâon serait presque tentĂ© dây voir une discrĂšte parodie de la self-reliance » cĂ©lĂ©brĂ©e par Emerson. On sait ce que vaut cet individualisme-lĂ il nâest que le masque et lâalibi du conformisme. 153 Voir âThe Pseudo-Conservative Revolt â 1954â, in The Paranoid Style in American Politics and Other ... 58MĂ©fiance et intolĂ©rance parachĂšvent le portrait. XĂ©nophobie, antisĂ©mitisme, anti-intellectualisme, mysogynie câest dans ces formes de haine sanctionnĂ©es et encouragĂ©es par le consensus social que se fixe et se durcit en dernier ressort lâanimositĂ© nĂ©e de la frustration. On nâaura pas manquĂ© de reconnaĂźtre les implications politiques de cette agressivitĂ© dĂ©sormais canalisĂ©e Jason et ses pareils sont de lâĂ©toffe dont, en pĂ©riode de crise, on fait des fascistes. Mais ne confondons pas ultra-droite et conservatisme. Jason nâest pas un conservateur, un nostalgique du passĂ©, un dĂ©fenseur des traditions du Sud ; il ressemble plutĂŽt au pseudo-conservateur » tel que lâa dĂ©fini lâhistorien Richard Hofstadter153 appliquĂ© Ă donner de lui-mĂȘme lâimage rassurante de lâhomme dâaffaires industrieux, du fils dĂ©fĂ©rent et du chef de famille responsable, Jason adopte les valeurs traditionnelles pour tout ce qui touche Ă son personnage public. Et pas seulement par hypocrisie son monologue nous montre quâil prend ces rĂŽles tout Ă fait au sĂ©rieux. Mais la violence de ses Ă©clats et de ses foucades ne cesse de fissurer ce vernis de respectabilitĂ©. Le pseudo-conservateur » est un homme divisĂ© la rigueur de son conformisme est contredite par une haine virulente, irraisonnĂ©e, voire inconsciente de lâordre Ă©tabli. ColĂšre, peur, inquiĂ©tude, mĂ©fiance paranoĂŻde, prĂ©jugĂ©s ethniques et obsession du statut social, parmi les caractĂ©ristiques du pseudo-conservatisme quâĂ©numĂšre Hofstadter, il nâen est pas une seule qui ne vaille pour Jason. 59Faulkner nâavait pas dâambitions sociologiques lorsquâil composa Le Bruit et la fureur, mais lâon peut dire quâil avait dĂšs ce moment-lĂ â plus quâaucun de ses contemporains â lâimagination sociologique et historique qui sait recrĂ©er et rĂ©vĂ©ler lâesprit dâun temps et dâun lieu. Les petits bourgeois bĂȘtes et mĂ©chants Ă la Jason ne sont certes ni dâun seul pays ni dâun seul temps. Mais il serait vain de nier quâils trouvĂšrent dans le Sud de la premiĂšre moitiĂ© du vingtiĂšme siĂšcle une terre dâĂ©lection oĂč leur virulente sottise pouvait sĂ©vir plus impunĂ©ment quâailleurs, et de ce Sud-lĂ , Faulkner nous a donnĂ© Ă travers Jason lâun des portraits le plus implacablement justes et le plus fĂ©rocement comiques. 154 FAU, p. 29/FIU, p. 17. 60 Il y a trop de Jasons dans le Sud qui peuvent rĂ©ussir, exactement comme il y a trop de Quentins dans le Sud qui sont trop sensibles pour affronter la rĂ©alitĂ©154 » cette remarque du romancier confirme, sâil en Ă©tait besoin, la valeur reprĂ©sentative quâil assignait Ă ces deux personnages, et elle indique aussi leurs fonctions complĂ©mentaires dans le roman. Le plus souvent cette complĂ©mentaritĂ© a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e dans une perspective Ă la fois symbolique et historique lâeffondrement de Quentin reprĂ©senterait la faillite de vieilles traditions sudistes, Jason serait le sinistre prophĂšte de lâĂąge nouveau. Chacun dâeux symboliserait donc une phase dans le processus de dĂ©clin que Faulkner a dramatisĂ© Ă travers lâhistoire des Compson. Aussi sĂ©duisante soit-elle, cette lecture allĂ©gorisante ne convainc quâĂ moitiĂ©. Ă trop durcir les oppositions, elle tend Ă faire oublier ce quâil y a de presque organique dans la complĂ©mentaritĂ© de ces deux figures. Comme nous lâavons soulignĂ© Ă plusieurs reprises au cours de ce chapitre, Quentin et Jason sont plus profondĂ©ment frĂšres » quâon ne lâa gĂ©nĂ©ralement reconnu. FrĂšres ennemis sans doute, mais les ressemblances sont si troublantes que leurs monologues semblent devoir ĂȘtre lus comme les deux versions dâun mĂȘme texte ou deux interprĂ©tations diffĂ©rentes dâune mĂȘme piĂšce. Lâenjeu de la piĂšce est la perte. Cette perte peut sâentendre en termes socio-historiques perte par une classe dominante de son statut et de ses privilĂšges ; dĂ©classement, dĂ©clin, dĂ©composition. Mais perte dâabord vĂ©cue dans sa chair par chacun des protagonistes du roman perte dâamour par perte de soi, perte de soi par perte dâamour. Benjy, lâidiot dĂ©possĂ©dĂ© au seuil de lâĆuvre, reprĂ©sente cette perte sous sa forme la plus Ă©lĂ©mentaire et la plus nue. En Quentin et en Jason elle devient ce quâen termes religieux on appellerait perdition, ruine de lâĂąme, ou ce que la vulgate marxiste dĂ©signerait sous le concept dâaliĂ©nation, expropriation de soi. Tous deux se perdent pour nâavoir pas su assumer la perte. A Quentin comme Ă Jason il aura manquĂ© le courage dâentreprendre le nĂ©cessaire trajet qui conduit de lâinnocence Ă lâexpĂ©rience, du moi Ă lâautre et Ă lâAutre. En quoi ils sont vouĂ©s Ă rester, comme leur frĂšre dĂ©bile, des demeurĂ©s. Seuls les destins des deux frĂšres sont vraiment disjoints. Le premier perd sa vie, le second son Ăąme. Jason survit - dĂ©risoire triomphe de lâ endurance » faulknĂ©rienne.
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