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Chihayafuruest un manga josei crĂ©e en 2008 par SUETSUGU Yuki, Ă©ditĂ© par Pika (Shojo) prĂ©publiĂ© dans Be Love - Avis des lecteurs sur la sĂ©rie MĂȘmesaccagĂ© par les Bolton, et donc diffĂ©rent de ce qu’il fut autrefois, il conserve la mĂȘme force et la mĂȘme importance sentimentale pour les Stark. "Le gĂ©nĂ©rique davantage focalisĂ© sur l’espace que sur les personnages, qui sont pourtant au centre de l’histoire, montre qu’il est en rĂ©alitĂ© lui-mĂȘme un personnage de l’intrigue. Neperdez pas les bonnes habitudes. Cette annĂ©e, mon copain Thibaut Larue, surnommĂ© Tibo sur ce blog, et collaborateur de Sport-Auto, la revue-soeur d'Auto Plus, publie l'iMag, le premier magazine Ă©lectronique français sur la Formule 1. Le n°1 de 2012 sera consacrĂ© au Grand Prix d'Australie avec le compte-rendu dĂ©taillĂ© de la course, tous les Les100 derniers commentaires de azrael59 @ Soap-Passion.com QuelquesannĂ©es plus tard naĂźt le Matrix 3, sorte de gros show control pas trĂšs pratique mais en mesure de gĂ©rer les Spacemaps et d’alimenter les enceintes. D-Mitri arrive en 2009 et avec cette plateforme multimĂ©diale extrĂȘmement puissante qui sert encore aujourd’hui de cerveau pour Constellation, l’acoustique active de Meyer, Spacemap sert de langage de TrottinetteĂ©lectrique xiaomi maintenant, ce moment de 100 kilos, la mĂȘme pour faire bouger de trottinettes Ă©lectriques un. En france, les ateliers en asie centrale. S’adapte Ă  voir une trottinette sxt 1000 cycles de wuhan, Ă©picentre chinois part entiĂšre, il peut ĂȘtre Ă©quipĂ©e d’un Ă©cran lcd pour toute faciliter leur hĂ©bergeur français Ă  sauter de MĂȘmequ'on naĂźt imbattables! Un documentaire de Marion Cuerq Avec N-C 1 h 43 France 14,0 1 vote DĂ©tails Date de sortie 2 Novembre 2017 Fiches IMDb - The Movie DB Chercher des trailers sur Youtube Visionnage Vu Envie de le voir Pas vu Collection DVD Bluray 4K HD DVD VHS Synopsis On aspire tous Ă  vivre dans un monde sans violence. Conseilsde base. Bien que les mesures sanitaires soient beaucoup plus souples que l’anne dernire pareille date, les environnements extrieurs sont, en ce contexte de pandmie, plus scuritaires que les espaces intrieurs, lance Dan Yates, fondateur et directeur gnral dun site de rservation de campings. Cejeudi 13 juin, le documentaire français “MĂȘme qu’on naĂźt imbattables ! Vous avez choisi de refuser le dĂ©pĂŽt de cookies, vous pouvez Ă  Lessurfaces ! Un des buts des mathĂ©matiques est de classifier les objets dont elles font usage. Par exemple, pour les surfaces compactes, cela a Ă©tĂ© menĂ© Ă  bien mais au prix d’efforts considĂ©rables s’étalant sur plusieurs dizaines d’annĂ©es. Leur classification topologique a Ă©tĂ© obtenue par des mĂ©thodes Ă©manant de diverses DeuxiĂšmetemps dans cette rĂ©flexion sur les violences Ă©ducatives ordinaires (VEO) : une rencontre, ce mardi, entre la rĂ©alisatrice du film, les professionnels du Ram et les lycĂ©ens de Molsheim. Gammed’accessoires d’escalade EB. En complĂ©ment des chaussons d’escalade, nous dĂ©veloppons les Ă©quipements habituels du grimpeur comme des sacs Ă  corde , Ă  magnĂ©sie et les brosses de nettoyage. Mais aussi toute une gamme d’ accessoires pour l’escalade autour du confort des pieds et des mains du grimpeur. ACCESSOIRES D'ESCALADE EB. Maisnous voyons tous les deux le mĂȘme magasin, mĂȘme si nous sommes ici pour une explication trĂšs diverse. » À partir de la page d’accueil typique du commerce en ligne, les acheteurs peuvent soit profiter de la fonction de recherche, soit se frayer un chemin au moyen d’un certain nombre de sĂ©lections, souhaitant identifier un certain Jesais que le Samsung a une fonction de Dual Shot qui permet de prendre des photos avec les 2 capteurs en mĂȘme temps mais [] je ne pense que l’utilisateur de Frontback serait satisfait par cette fonctionnalitĂ© de prendre les 2 photos en mĂȘme temps. Il y a cette notion de composition. Si la photo va ĂȘtre partagĂ©e, nous avons toujours NotreĂ©quipe d’experts a testĂ© pour vous les meilleurs VPN de 2022.En vous offrant un comparatif ainsi qu’un guide Windows complet, elle espĂšre vous rendre le choix plus simple et rapide pur un des systĂšmes d’exploitation les plus connus au monde.Retour dĂ©taillĂ© sur les meilleurs VPN destinĂ©s Ă  Windows ainsi que sur le l’OS estampillĂ© Microsoft. iHkV9h. Les What Hi-Fi Awards 2020 rĂ©compensent comme chaque annĂ©e les meilleurs produits Image & Son actuellement disponibles sur le marchĂ©. Pour cette Ă©dition, on retrouve certains laurĂ©ats dĂ©jĂ  prĂ©sents l’annĂ©e derniĂšre voir l’édition 2019, mais aussi des petits nouveaux particuliĂšrement intĂ©ressants. On regrettera toutefois quelques choix assez discutables, notamment dans la catĂ©gorie des enceintes acoustiques ou des amplis. Il y a clairement du favoritisme pour les marques anglaises mais qu’importe les choix restent tout Ă  fait pertinents ! Et les laurĂ©ats des What Hi-Fi Awards 2020 sont
 Les What Hi-Fi Awards 2020 se composent de 26 catĂ©gories TĂ©lĂ©viseurs, Amplis, Casques
 au sein desquelles on retrouve les meilleurs produits de l’annĂ©e classĂ©s par tranches de prix. Vous voulez savoir quel est le vidĂ©oprojecteur le plus performant pour votre Home-CinĂ©ma et vous avez un budget de 2000€ ? Les journalistes de What Hi-Fi vous simplifient la tĂąche ! N’oubliez tout de mĂȘme pas d’aller confirmer ce choix en testant les produits
 Les goĂ»ts des uns ne sont pas forcĂ©ment ceux de autres. Samsung QE75Q950TS – Meilleur TV 8K 2020 TĂ©lĂ©viseurs Sur les 8 tĂ©lĂ©viseurs ayant Ă©tĂ© primĂ©s cette annĂ©e, la moitiĂ© sont signĂ©s Samsung ! Mention spĂ©ciale pour le meilleur tĂ©lĂ©viseur 8K de l’annĂ©e, l’excellent 75Q950T. Les TV Philips prennent 2 places avec la sĂ©rie OLED805, et Sony les deux restantes avec leur rĂ©cent OLED sĂ©rie A9 de 48 pouces et leur TV 4K Full LED 65XH9005. Sennheiser Ambeo Soundbar – Meilleure barre de son >2000ÂŁ Barres de son Pas de surprises en matiĂšre de barres sonores ! La Yamaha YAS-207 reste l’entrĂ©e de gamme idĂ©ale dans cette catĂ©gorie. Notons toutefois qu’elle a Ă©tĂ© rĂ©cemment remplacĂ©e par la YAS-209. Suivent les Sonos Beam et ARC, puis la majestueuse Sennheiser Ambeo Soundbar avec son systĂšme compatible Dolby Atmos. KEF LS50 Meta – Meilleure enceinte bibliothĂšque 750>1500ÂŁ Enceintes acoustiques Beaucoup d’enceintes Hi-Fi anglaises ici. Parmi celles qu’on connait en France, il y a les toutes nouvelles LS50 Meta de KEF meilleure biblio 750-1500ÂŁ et leur mĂ©tamatĂ©riau du futur. Notons aussi l’édition anniversaire des excellentes B&W 606 S2 meilleure biblio 400-750ÂŁ. La colonne la plus prestigieuse est la Spendor A7. La meilleure enceinte de bureau est la Ruark M1 MKII. Pro-Ject Primary E – Meilleure platine vinyle 500ÂŁ Enceintes sans fil Du cĂŽtĂ© des enceintes sans fil, la JBL Flip 5 est la solution portable parfaite pour les petites bourses. Si vous avez un peu plus les AudioPro Addon C3 et C10 vous Ă©tonneront par leur sonoritĂ© typĂ©e Hi-Fi. Enfin, les plus fortunĂ©s sont invitĂ©s Ă  craquer pour le trĂšs sexy systĂšme tout-en-un Naim Mu-So QB2. Grado SR80e – Meilleur casque filaire 250ÂŁ Casques sans fil Rien de nouveau sous le soleil, Sony s’impose encore comme le maĂźtre du casque sans fil grand public avec ses WH-1000XM3 et WH-1000XM4. En intra sans fil aussi puisque pour trouver mieux que les WF-1000XM3, il faudra dĂ©penser prĂšs de 300€ pour les Sennheiser Momentum True Wireless 2. Marantz CD6007 – Meilleur lecteur CD 500ÂŁ Convertisseurs DAC Chord est reconnu comme l’un des meilleurs fabricants de DAC du moment. C’est simple, au dessus de 300ÂŁ, il n’y a que du Chord Mojo, Qutest et Hugo 2 ! Les Audioquest DragonFly Cobalt nomade et Ifi Zen DAC sĂ©dentaire sont les options plus abordables retenues pour ces What Hi-Fi Awards 2020. Cambridge CXA81 – Meilleur ampli stĂ©rĂ©o 800>1500ÂŁ Amplis stĂ©rĂ©o C’est un peu la mĂȘme chose qu’avec les lecteurs rĂ©seau il n’y a que des marques anglaises. Deux amplis Rega par ci iO + Aethos, deux amplis Cambridge par lĂ  CXA61 + CA81, un Naim par dessus Nait XS3
 Ouf, un Marantz PM6007 en embuscade ! On plaisante bien sĂ»r, tous ces amplis sont excellents et plaisent beaucoup Ă  nos voisins d’outre-manche. Pensez juste Ă  confirmer votre choix avec une Ă©coute ! Denon AVC-X3700H – Meilleur ampli A/V 750>1500ÂŁ Amplis Home-CinĂ©ma Le vieillissant Sony STR-DN1080 fait encore parti des gagnants. Il faut dire que le marchĂ© des amplis Home-CinĂ©ma est assez compliquĂ© en ce moment et que peu de rĂ©fĂ©rences sont disponibles en Europe. Heureusement que le Denon est lĂ  avec des rĂ©alisations rĂ©centes dotĂ©es des derniĂšres technologies comme l’AVC-X3700 ou le plus radical AVC-X6700 ! Sonos – Meilleur Ă©cosystĂšme multiroom premium Multiroom Cette annĂ©e encore, il sera difficile de battre Sonos dans son domaine de prĂ©dilection. Les californiens remportent pour la Ă©niĂšme fois le titre de meilleur systĂšme multiroom premium ! L’alternative proposĂ©e pour un budget plus contenu n’est autre qu’AudioPro, dont les C3 et C10 ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© primĂ©es dans la catĂ©gorie enceintes sans fil. KEF LSX – Meilleur systĂšme tout-en-un 1000ÂŁ Lecteurs rĂ©seau On admet qu’il est difficile de reprocher quoi que ce soit au lecteur rĂ©seau Audiolab 6000N Play pour moins de 500€. Idem pour le Cambridge CXN V2 , le NAD C658 et le Naim ND5 XS 2 dans leurs catĂ©gories de prix respectives. Bon ça fait quand mĂȘme un podium constituĂ© Ă  100% de matĂ©riel british ! Une simple coĂŻncidence sans doute
 Epson EH-TW9400 – Meilleur vidĂ©oprojecteur <2000ÂŁ VidĂ©oprojecteurs Pas de DLP parmi les meilleurs vidĂ©oprojecteurs de l’annĂ©e 2020. Si cela vous Ă©tonne, essayez de tester un vidĂ©oprojecteur 3LCD Epson comme le TW7100 et TW9400. Pour ces modĂšles, les images 4K sont simulĂ©es par wobulation. Si vous souhaitez de la 4K native il faudra opter pour les coĂ»teux Sony VPL-VW270 et sa technologie SXRD. Autre bonne idĂ©e depuis qu’il a reçu des mises Ă  jours importantes, le JVC DLA-N5. Pure Evoke H2 – Meilleure radio <100ÂŁ Autres catĂ©gories Voici une sĂ©lection de produits prĂ©sents dans des catĂ©gories moins importantes. L’AudioQuest Rocket 11 a Ă©tĂ© Ă©lu meilleur cĂąble Ă  moins de 15€ le mĂštre. Les radios qui pĂšsent sont les Roberts 94i et Pure Evoke H2. Tidal et Netflix sont les services de streaming qu’il vous faut. La reine des tablettes est l’iPad de 8Ăšme gĂ©nĂ©ration et le roi des tĂ©lĂ©phones est l’Apple iPhone 12 le Sony Xperia 1 II. 🙂 Vous pouvez retrouver les What Hi-Fi Awards 2020 dans le dernier numĂ©ro de What Hi-Fi. Il est Ă©galement possible de consulter la liste de tous les laurĂ©ats sur le site de What Hi-Fi. Enfin, la plupart des produits rĂ©compensĂ©s par un Award 2020 sur et dans les magasins Cobra de Paris 11, Paris 17 ou Boulogne-Billancourt. Edit Showing all 3 items Jump to Release Dates 1 Also Known As AKA 2 Release Dates France 2 November 2017 Paris premiere Also Known As AKA original title MĂȘme qu'on naĂźt imbattables! France MĂȘme qu'on naĂźt imbattables! Contribute to This Page Le petit-bourgeois est l’homme qui s’est GORKI Comme je dis » Quand on est nĂ©e putain on reste putain, voilĂ  mon avis. Je dis vous devez vous estimer heureuse si le fait qu’elle sĂšche ses classes est tout ce qui vous prĂ©occupe. Je dis elle devrait ĂȘtre lĂ -bas, dans cette cuisine, en ce moment mĂȘme, au lieu d’ĂȘtre lĂ -haut, dans sa chambre Ă  se coller de la peinture sur la figure, attendant que six nĂšgres lui prĂ©parent son petit dĂ©jeuner, six nĂšgres qui ne peuvent mĂȘme pas se lever de leur chaise Ă  moins qu’ils aient une charge de pain et de viande pour les maintenir en Ă©quilibre 507/223. 132 Voir James M. Mellard, “Faulkner’s Jason and the Tradition of Oral Narrative”, Journal of Popular C ... 133 Le pronom “vous” apparaĂźt dĂšs la deuxiĂšme phrase du discours de Jason. Le plus souvent il englobe Ă  ... 1Rien ici qui ressemble aux balbutiements incohĂ©rents de Benjy, rien qui rappelle les fĂ©briles divagations de Quentin. Une autre voix se fait Ă  prĂ©sent entendre, vulgaire, sardonique, pĂ©remptoire, une voix qui affirme et qui tranche. Au monologue intĂ©rieur », avec ses replis et ses retours, ses dĂ©lais et ses dĂ©tours, succĂšde un monologue dramatique, discours Ă  la cantonade de qui parlerait tout haut. Encore qu’elle obĂ©isse elle aussi par moments Ă  une logique associative, la troisiĂšme section doit bien plus Ă  la tradition populaire du rĂ©cit oral qu’à la technique joycienne du courant de conscience132 ». On dirait la fidĂšle transcription d’un discours improvisĂ©, une transcription qui aurait prĂ©servĂ© la familiaritĂ© de ton et l’allure spontanĂ©e d’un rĂ©cit fait de vive voix. Contrairement au vouloir-dire trĂ©buchant de Benjy et au trop-Ă -dire haletant de Quentin, le monologue de Jason laisse apparaĂźtre d’entrĂ©e de jeu la conscience que le locuteur a de lui-mĂȘme en tant que locuteur il s’écoute parler » Ă  preuve la frĂ©quence des inquit interpolĂ©s, les je dis », les comme je dis » en mĂȘme temps qu’il suggĂšre la prĂ©sence d’un allocutaire, la complicitĂ© muette d’un tu auquel son discours s’adresse133. Alors que dans les deux premiĂšres sections l’appareil de l’énonciation Ă©tait des plus problĂ©matiques, nous avons affaire ici Ă  une situation de discours quasi normale. Les monologues de Benjy et de Quentin Ă©taient des discours perdus comme des lettres..., la furieuse rhĂ©torique de Jason tĂ©moigne en revanche du besoin de communiquer, de convaincre ou d’ĂȘtre Ă  tout le moins entendu, rĂ©ellement entendu. Nous voilĂ  revenus aux circuits de la parole, Ă  deux pas du dialogue. 134 La troisiĂšme section ne comporte qu’une seule analepse importante la scĂšne de l’enterrement de Mr ... 2Aussi n’est-on pas surpris que le roman reprenne ici sa fonction traditionnelle de rĂ©cit. Une histoire est enfin racontĂ©e et on la suit sans peine. L’ordre chronologique est rĂ©tabli dans la prĂ©sentation des faits, et les rares ruptures temporelles se font de telle sorte que le risque de confusion est des plus rĂ©duits134. Bien que Jason ne soit nullement un narrateur digne de confiance, la narration y gagne un relief, une couleur et une cohĂ©rence qui lui faisaient jusque-lĂ  dĂ©faut, et grĂące aux supplĂ©ments d’information qui nous sont fournis l’histoire des Compson sort enfin des limbes. 135 Le hĂ©ros de George Washington Harris Ă©tait un des personnages prĂ©fĂ©rĂ©s de Faulkner “[...] j’aime ... 136 Voir Robert C. Elliot, “The Satirist Satirized Studies of the Great Misanthropes”, in The Power o ... 3Retour donc, vaille que vaille, au rĂ©cit. Retour Ă©galement au personnage, passablement effilochĂ© dans les sections prĂ©cĂ©dentes. Jason en est un dans tous les sens du terme, sur fond de théùtre scĂ©lĂ©rat de mĂ©lodrame en mĂȘme temps que bouffon. Avec la troisiĂšme section le roman amorce un surprenant virage vers la comĂ©die noire, dans la riche veine populaire qu’on retrouvera dans Tandis que j’agonise, la trilogie des Snopes et Les Larrons. Dans son parler dru et savoureux comme dans ses attitudes antisociales, Jason rappelle les figures hautes en couleur créées par les humoristes du Vieux Sud-Ouest, et l’on peut suivre son ascendance jusqu’à Simon Suggs et Sut Lovingood, personnages qui lui ressemblent par leur brutal franc-parler et leur esprit caustique et qu’il Ă©gale en cruautĂ© et canaillerie135. D’autre part, dans la mesure oĂč il se rĂ©duit Ă  une poignĂ©e d’idĂ©es fixes et de rĂ©actions stĂ©rĂ©otypĂ©es, Jason prĂ©sente Ă©galement d’évidentes affinitĂ©s avec l’original – l’humeur devenue humour – tel que l’a dĂ©fini Ben Jonson et dont les excentriques de Dickens offrent le plus riche rĂ©pertoire dans la littĂ©rature romanesque. On peut enfin voir en lui un lointain cousin de province des grands misanthropes et des grands imprĂ©cateurs de la littĂ©rature occidentale – le Thersite d’HomĂšre, le Timon de Shakespeare et la foule des malcontents » du théùtre Ă©lisabĂ©thain, l’Alceste de MoliĂšre, le Gulliver du dernier voyage, ou encore, plus prĂšs de nous, l’homme du sous-sol » de DostoĂŻevski136. Comparer Jason Ă  toutes ces figures est peut-ĂȘtre lui faire trop d’honneur, mais comme eux, dans son style de petit boutiquier sudiste, il est l’ennemi implacable du genre humain et le fĂ©roce procureur de ses folies. 4Comme eux Ă©galement, il est Ă  la fois l’agent et la cible de la satire. Tout son monologue peut se lire comme une Ă©tourdissante variation sur le thĂšme classique du satiriste satirisĂ©. L’ironie du romancier fait ici d’une pierre deux coups elle s’exerce en premier lieu aux dĂ©pens de Jason, dont elle charge le portrait jusqu’à la caricature, mais dans le mĂȘme temps elle s’exerce, sous le couvert de Jason-narrateur, aux dĂ©pens des autres Compson, Ă  ravaler le drame de leur dĂ©chĂ©ance aux proportions risibles d’une histoire de fous Je n’ai pas beaucoup d’amour-propre. Je ne peux pas me permettre ce luxe, avec une pleine cuisine de nĂšgres Ă  nourrir et le fait que je prive l’asile d’aliĂ©nĂ©s d’un numĂ©ro de choix. Le sang, dis-je, des gouverneurs, des gĂ©nĂ©raux ! C’est bougrement heureux que nous n’ayons eu ni rois ni prĂ©sidents nous serions tous Ă  Jackson Ă  l’heure qu’il est Ă  courir aprĂšs les papillons 552/286. 5Jason fait preuve tout au long de son monologue d’un sens aigu de l’incongru et du grotesque et, comme satiriste, il est d’autant plus redoutable que Faulkner – le satiriste dans les coulisses – lui prĂȘte pour ce rĂŽle son propre talent. DĂ©crits sans nuances et sans sympathie, dĂ©pouillĂ©s de tout ce qui les rendait Ă  tout le moins pitoyables, les hĂ©ros de la tragĂ©die familiale deviennent sous le regard dĂ©capant de Jason les acteurs fortement typĂ©s d’une sorte de mĂ©lo burlesque ou de tragĂ©die bouffe Ă  mi-chemin de Caldwell et de Tennessee Williams le pĂšre et l’oncle poivrots, la mĂšre neurasthĂ©nique, la niĂšce gourgandine, le frĂšre idiot, tels sont les protagonistes de la troisiĂšme section. Et l’on n’est pas surpris dĂšs lors que le rĂ©cit de leurs malheurs tourne promptement Ă  la farce. 6Autre langage, autre voix, autre regard. Le rapport du romancier au personnage-narrateur se modifie radicalement et la position du lecteur s’en trouve Ă  son tour bouleversĂ©e. Avec Benjy, c’était la perplexitĂ© devant un texte incohĂ©rent et inassignable. Le monologue de Quentin, en revanche, nous entraĂźnait dans les tourbillons d’un discours imaginaire et sollicitait donc une identification au personnage. Dans la troisiĂšme section, toute possibilitĂ© d’identification semble ruinĂ©e d’avance par l’ironie du romancier. Entre celui-ci et Jason comme entre Jason et nous la distance est Ă©gale Ă  celle qui sĂ©pare Jason des objets de sa raillerie, et elle est presque de mĂȘme nature distance comique, essentiellement, sauf que le rire du lecteur finit par se glacer devant tant de noirceur d’ñme. 137 Voir LIG, p. 149. 7Jason, on le sait, reprĂ©sentait pour Faulkner le mal absolu » et l’on veut bien le croire lorsqu’il affirme y avoir mis tout ce qu’il abhorrait137. Il n’empĂȘche que distanciation et identification sont ici Ă  l’Ɠuvre comme dans la section prĂ©cĂ©dente. Pas de la mĂȘme maniĂšre ni dans les mĂȘmes proportions. Mais de mĂȘme qu’on se mĂ©prendrait Ă  ne voir en Quentin qu’une projection autobiographique plus ou moins romancĂ©e, on aurait tort de croire que Jason a Ă©tĂ© conçu Ă  froid, du dehors, par un romancier qui lui serait totalement Ă©tranger. Jason a ce privilĂšge que Faulkner rĂ©serve Ă  ses grandes figures du mal de s’imposer Ă  nous comme une prĂ©sence » immĂ©diate et irrĂ©cusable. L’aurait-il, cette prĂ©sence, si son crĂ©ateur ne l’avait nourri de ses propres venins ? 138 James Dahl, “A Faulkner Reminiscence Conversations with Mrs. Maud Falkner”, Journal of Modem Lite ... 139 “[...] le PĂšre, c’est le Parleur, celui qui tient des discours hors du faire, coupĂ©s de toute produ ... 8InterrogĂ© sur ce roman en 1953, Mrs. Maud Faulkner, la mĂšre de l’écrivain, fit ces rĂ©flexions Ă©tonnantes Eh bien Jason, dans Le Bruit et la fureur – il parle exactement comme mon mari. Mon mari avait Ă  un moment donnĂ© une quincaillerie dans la ville haute. Sa façon de parler Ă©tait tout Ă  fait comme celle de Jason, les mĂȘmes mots, le mĂȘme style. Tous ces vous savez ». Il avait aussi un vieux nĂšgre du nom de Jobus, tout comme le personnage de Job dans l’histoire. Il Ă©tait tout le temps aprĂšs Job parce qu’il ne travaillait pas assez, exactement comme dans l’histoire138 ». À en croire ce tĂ©moignage d’autant plus savoureux qu’il Ă©mane de la mĂšre, les sources seraient donc toutes proches, et que ce personnage bouffon et mĂ©prisable ait Ă©tĂ© modelĂ©, au moins en partie, sur le pĂšre de Faulkner est une possibilitĂ© qui ne laisse pas d’intriguer. Jason, serait-ce le fils Ă©crivain jouant au pĂšre parleur139 ? L’hypothĂšse n’est en tout cas pas Ă  exclure que son monologue ait Ă©tĂ© pour Faulkner une maniĂšre de rĂšglement de comptes avec le pĂšre, raillĂ© dans ce qui est le symbole mĂȘme de son autoritĂ© sa parole, sa voix. 9Mais parler comme le pĂšre, c’est aussi s’identifier Ă  lui, se reconnaĂźtre en lui. Faulkner tenait de son pĂšre mĂ©prisĂ© et Jason tient de Faulkner, comme Smerdiakov de DostoĂŻevski. Mais laissons lĂ  ces spĂ©culations. Notre propos n’est pas de faire le compte des modĂšles et des sources ni mĂȘme seulement de dĂ©terminer quels rapports les personnages entretiennent avec l’auteur, mais plutĂŽt de les apprĂ©hender Ă  partir de l’Ɠuvre elle-mĂȘme, comme figures liĂ©es les unes aux autres dans le rĂ©seau d’un texte. La voix du sang 140 Nous prenons ce terme avec toutes les connotations qu’il a prises depuis Nietzsche. Etat de faibles ... 10Dans la troisiĂšme section on change de clef, mais la partition est presque la mĂȘme. Sauf Ă  ĂȘtre retournĂ©e. Ainsi la relation frĂšre-sƓur, Ă  peine moins dĂ©cisive, change ici de signe ce qui lie Jason Ă  Caddy est la haine, une haine aussi intense et aussi irrĂ©pressible que l’amour de Benjy et l’amour-haine de Quentin. Pour lui comme pour eux la sƓur aura Ă©tĂ© l’instrument du dĂ©sastre. N’eĂ»t Ă©tĂ© son inconduite, Jason aurait pu avoir une position Ă  la banque de son beau-frĂšre. Aussi l’enfant illĂ©gitime qu’elle a dĂ» lui laisser en otage est-il devenu pour lui le symbole mĂȘme de la position perdue » 619/383-384. Pour Jason la figure de Caddy est donc Ă©galement associĂ©e au malheur d’une perte, mais plus encore que Quentin il a ressenti cette perte comme une offense, une insulte – en faulknĂ©rien an outrage. Et il y rĂ©agira autrement aux cris et aux gĂ©missements de Benjy, au dĂ©sespoir de Quentin rĂ©pondent dans le troisiĂšme monologue la rage et le ressentiment140. 141 Sur ce que Jason doit Ă  la “philosophie” de son pĂšre, voir le judicieux essai de Duncan Aswell, “Th ... 11Mais bon sang ne saurait mentir. Parce que, comme je dis, le sang est le sang et on n’y peut rien » 564/303 Jason ne croit pas si bien dire lorsqu’il invoque l’atavisme familial pour expliquer les fredaines de sa niĂšce, ironiquement la rĂ©flexion vaut aussi bien pour lui. A l’entendre, il n’y aurait pas homme plus raisonnable que lui en ce monde de fous et de crĂ©tins. 11 croit et voudrait nous faire accroire qu’il n’a rien de commun avec les autres Compson – illusion maintes fois dĂ©mentie par ses actes, bien qu’il soit un outsider et l’ait Ă©tĂ© depuis son enfance. Sa mĂšre se fĂ©licite de ce qu’il soit un vrai Bascomb » et a pour lui les tendres Ă©gards qu’elle refuse Ă  ses autres enfants. Tel Jewel, le fils favori d’Addie Bundren dans Tandis que j’agonise, Jason a Ă©tĂ© marquĂ© par ce traitement prĂ©fĂ©rentiel, mais comme Mrs. Compson n’a de vĂ©ritable amour que pour elle-mĂȘme, il n’a guĂšre Ă©tĂ© plus qu’un pion dans le jeu dĂ©vastateur qu’elle n’a cessĂ© de jouer avec les siens. Sa seule rĂ©ussite est de l’avoir isolĂ© du reste de la famille et de l’avoir façonnĂ© Ă  son image. C’est d’elle qu’il a hĂ©ritĂ© son fĂ©roce Ă©goisme, sa bonne conscience, sa mauvaise foi, son souci de respectabilitĂ© et jusqu’à ses migraines. Mais il est curieux de voir que Jason est aussi le paradoxal hĂ©ritier de la philosophie paternelle, dont il adopte les principes pour s’en faire une rigide rĂšgle de vie. Et son inflexible logique, en Ă©rigeant le scepticisme de Mr. Compson en dogme, va nous administrer – nouveau tour de l’ironie faulknĂ©rienne – la preuve par l’absurde de son inanitĂ©141. 142 Voir LIG, p. 147. 12Non moins surprenantes sont les Ă©troites ressemblances qui unissent Jason et Quentin. Le contraste est certes le plus Ă©vident, et l’on sait que Jason fut initialement conçu pour servir de repoussoir Ă  son frĂšre142. A cĂŽtĂ© de Quentin, Jason est assurĂ©ment un allĂšgre extraverti. Il s’accommode du monde et s’y affaire de toute son Ă©nergie brouillonne quand Quentin le refuse et en meurt. A l’idĂ©alisme Ă©corchĂ© de celui-ci on a pu opposer le pragmatisme froidement calculateur de celui-lĂ . Au-delĂ  de ces diffĂ©rences, cependant, on bute chez l’un et l’autre contre le mĂȘme irrĂ©fragable noyau de narcissisme ou, pour reprendre le terme plus ambigu de Faulkner, la mĂȘme innocence ». Jason n’est que le nĂ©gatif de son frĂšre, un Quentin moins vulnĂ©rable, plus sanguin, plus pugnace, qui, plutĂŽt que de succomber au dĂ©sespoir, aurait tournĂ© Ă  l’aigre. Le persĂ©cuteur persĂ©cutĂ© 143 Faulkner multiplie dans les deux premiĂšres sections les signes qui annoncent son comportement d’adu ... 13DĂ©viĂ©e par la culpabilitĂ©, intĂ©riorisĂ©e dans la nĂ©vrose, retournĂ©e contre le moi, l’agressivitĂ© de Quentin avait fini par trouver sa conclusion logique dans le suicide. Rien de tel chez Jason, qui ne rate pas une occasion de faire le mal et se dĂ©lecte de la souffrance d’autrui. Enfant, il dĂ©coupait avec des ciseaux les poupĂ©es de Benjy. Au mĂȘme Ăąge, Popeye en faisait autant avec des perruches et des chatons. Moins violent que l’avorton de Sanctuaire, Jason se rattrape par une cruautĂ© mentale non moins abjecte, et pour les coups tordus, les vacheries cousues main, les perfidies longuement mijotĂ©es, il est assurĂ©ment imbattable. Comme il jubile au souvenir du bon tour jouĂ© Ă  Caddy, qui voulait revoir sa fille, ne fĂ»t-ce qu’ une minute », et qu’il a si finement BouĂ©e cf. 528-529/254-255 ! Et comme il est content de brĂ»ler les deux billets pour le cirque sous le nez du pauvre Luster 574/317-318 ! Un grand garçon comme vous », lui dit Dilsey, qui devine le petit monstre sous l’adulte sadique. À sa maniĂšre, Jason est en effet restĂ© fidĂšle Ă  son enfance tout comme Benjy et Quentin143. 14A l’intĂ©rieur du cercle familial sa mĂ©chancetĂ© peut s’épanouir en toute quiĂ©tude. En dehors, elle ne jouit pas de la mĂȘme impunitĂ©, et dans ses rapports socio-professionnels Jason aurait intĂ©rĂȘt Ă  se tenir sur ses gardes. Or, son animositĂ© est si irrĂ©pressible qu’elle Ă©clate partout au moindre prĂ©texte. Dans toutes les conversations relatĂ©es dans son monologue ses propos ne sont que fiel et vinaigre il est grincheux avec son ex-associĂ© Earl qui est en fait son patron depuis qu’il a retirĂ© son argent du magasin pour s’acheter une voiture et plein de condescendance avec les Noirs et les petits fermiers qui viennent s’approvisionner Ă  la quincaillerie ; il morigĂšne le tĂ©lĂ©graphiste, coupable de ne pas l’informer Ă  temps des fluctuations de la bourse ; se dispute avec le shĂ©rif qui refuse de l’aider Ă  retrouver l’argent volĂ© par sa niĂšce, et finit par se faire assommer par un vieillard qu’il a traitĂ© de menteur. Jason flaire partout la trahison, soupçonne tout un chacun de vouloir lui nuire et voit en tout homme un adversaire Ă  abattre. 144 Par moments Jason semble mĂȘme tirer un plaisir masochiste de ses humiliations, en particulier au co ... 15C’est dire qu’il ne peut concevoir autre que lui-mĂȘme, que tout homme est son semblable, un autre Jason. Le monde lui renvoie, agrandi et multipliĂ©, son propre reflet, sa propre grimace. À l’entendre, on pourrait croire qu’il ne se bat que pour survivre et n’agresse que pour se dĂ©fendre. En fait il n’agresse que pour ĂȘtre Ă  son tour agressĂ©, comme s’il avait besoin des ripostes et des reprĂ©sailles que. dĂ©clenchent ses provocations pour ĂȘtre justifiĂ© et confirmĂ© dans son rĂŽle de victime144. 145 Voir, par exemple, Charles D. Peavy, “Jason Compson’s Paranoid Pseudocommunity”, Hartford Studies i ... 16Paranoia ? La critique l’a Ă©voquĂ©e Ă  son propos et Jason en a en effet la logique roide et folle145. Le jour de PĂąques, lors de la poursuite de Quentin et de l’homme-Ă -la-cravate-rouge, elle le conduira jusqu’au dĂ©lire de persĂ©cution. À premiĂšre vue, Jason peut sans doute paraĂźtre plus simple que Quentin et c’est d’ailleurs l’image qu’il cherche Ă  donner de lui-mĂȘme dans son monologue, mais il s’en faut qu’il ne soit d’une piĂšce. Les objets du ressentiment 17De Benjy Ă  Quentin, de Quentin Ă  Jason il n’y a pas de solution de continuitĂ©. Benjy, c’est un peu la statue de Condillac Ă  ses dĂ©buts sensation et mĂ©moire de la sensation ; Quentin et Jason en apparaissent comme les complications » successives. On y retrouve les mĂȘmes Ă©lĂ©ments de base, mais combinĂ©s et accentuĂ©s diffĂ©remment. Cette identitĂ©-dans-la-diffĂ©rence, rien ne l’illustre mieux que le glissement des obsessions privĂ©es aux fantasmes collectifs qui se produit dans la section 3. 18Nous avons dĂ©jĂ  notĂ© que, des trois premiers monologues du roman, celui de Jason Ă©tait de loin le plus socialisĂ©. Contrairement Ă  Benjy et Ă  Quentin, tous deux asociaux, l’un par dĂ©bilitĂ© mentale, l’autre par introversion nĂ©vrotique, Jason se dĂ©finit par son rapport Ă  la sociĂ©tĂ© autant que par ceux qu’il entretient avec la famille. 19Singulier rapport, fait de conformisme et de rĂ©volte. Si le ressentiment de Jason est sans limites ni discernement, il est en effet remarquable que les objets sur lesquels il se fixe soient si souvent ceux que lui dĂ©signent les prĂ©jugĂ©s de son milieu et de son temps. MĂȘme sa causticitĂ© est sans surprises les victimes de ses plaisanteries les plus anodines sont l’avare, le provincial, la vieille fille, le pasteur, c’est-Ă -dire les personnages les plus stĂ©rĂ©otypĂ©s de l’humour populaire. Plus rĂ©vĂ©lateur, dĂ©jĂ , est son mĂ©pris pour les intellectuels, les professeurs d’UniversitĂ© qui ne possĂšdent mĂȘme pas une paire de chaussettes et qui vous enseignent comment gagner un million en dix ans » 569/31 1. L’anti-intellectualisme fait gĂ©nĂ©ralement bon mĂ©nage avec la xĂ©nophobie. Jason ne dĂ©roge pas Ă  la rĂšgle [...] c’est tout de mĂȘme dĂ©goĂ»tant que n’importe quel sale Ă©tranger, incapable de gagner sa vie dans le pays oĂč Dieu l’a fait naĂźtre, puisse venir s’installer ici et voler Ă  mĂȘme la poche des AmĂ©ricains 518/239. 20Champion de l’amĂ©ricanisme, hostile aux Ă©trangers, il a bien entendu aussi la haine du Sudiste pour le Yankee et ne cesse de fulminer contre ces requins de l’Est » 540/270. On ne s’étonnera pas non plus que Jason ait des prĂ©jugĂ©s ethniques. Il n’aime pas les Juifs, encore que son antisĂ©mitisme s’exprime avec ce qu’il faut d’hypocrisie pour lui donner les apparences de la respectabilitĂ© Je donne Ă  chacun ce qui lui revient, sans distinction de religion ou de quoi que ce soit. Je n’ai rien contre les Juifs en tant qu’individus, dis-je. C’est la race. Vous avouerez qu’ils ne produisent rien. Ils suivent les pionniers dans les pays neufs et leur vendent des vĂȘtements 517/237-238. 21Et il est Ă  peine besoin de prĂ©ciser ce que Jason pense des Noirs Ce qu’il faut Ă  ce pays, c’est de la main-d’Ɠuvre blanche. Qu’on laisse ces sales faineants de nĂšgres crever de faim pendant un an ou deux et ils se rendront compte alors Ă  quel point ils se la coulent douce 516/237.Comme je dis Le seul endroit qui leur conviendrait, c’est les champs oĂč ils seraient obligĂ©s de travailler du lever au coucher du soleil. Ils ne peuvent pas supporter la prospĂ©ritĂ© ou un travail aisĂ©. Un bref contact avec les Blancs, et ils ne valent plus la corde pour les pendre. Ils en arrivent au point que, pour ce qui est du travail, ils peuvent vous mettre dedans sous votre nez, comme Roskus dont la seule erreur fut de se laisser mourir un jour, par inadvertance. Tirer au flanc, voler, vous faire chaque jour des boniments nouveaux jusqu’au moment oĂč il vous faut leur flanquer une volĂ©e de bois vert ou d’autre chose 570/312-313. 146 “[...] on n’est pas nĂ©cessairement humble ni mĂȘme modeste parce qu’on a consenti Ă  la mĂ©diocritĂ©. C ... 22Le Noir, le Juif, l’étranger, l’intellectuel, voilĂ  autant d’avatars de l’Autre honni et dĂ©testĂ©. Selon les recettes Ă©prouvĂ©es de l’intolĂ©rance et du racisme, Jason les fige en catĂ©gories abstraites, les rĂ©duit Ă  des prĂ©dicats immuables les Juifs sont mercantiles et parasites, les Noirs flemmards et chapardeurs, etc. Ainsi prĂ©jugĂ©s de nation, de rĂ©gion, de classe et de race viennent offrir un exutoire au trop-plein de ses aigreurs en mĂȘme temps qu’ils lui permettent de rejoindre l’élite des mĂ©diocres146 ». CosĂŹ fan tutte 23De ces prĂ©jugĂ©s et de ces phobies la misogynie est le complĂ©ment attendu. Jason est aussi sexiste que raciste. Comme sur les Juifs et les Noirs, il a sur les femmes sa provision d’idĂ©es toutes faites et, comme eux, son discours les dĂ©shumanise en les rĂ©duisant Ă  l’animalitĂ© si les Juifs sont des requins 540/270 et les Noirs des singes 572/315, les femmes sont des chiennes 507, 582/223, 329. On notera aussi la maniĂšre dont Jason classe leurs actions et objective leurs comportements. Quoi qu’une femme puisse faire, elle ne peut rien faire qui le puisse surprendre C’est bien ça, les femmes », s’exclame-t-il lorsque le chĂšque de Caddy lui parvient avec six jours de retard 516/236. L’ennui, c’est que les femmes ne soient prĂ©visibles que dans leur imprĂ©visibilitĂ© et qu’il faille sans cesse se rappeler qu’ une femme est capable de tout » 563/303. 24C’est pourquoi la femme est pour Jason l’adversaire par excellence. DĂ©raison faite chair, elle est un dĂ©fi permanent Ă  ses calculs, une menace impossible Ă  conjurer. Ses craintes semblent au demeurant justifiĂ©es Ă  deux reprises il sera flouĂ© par une femme, la premiĂšre fois par Caddy, qui lui fait perdre la situation promise, la deuxiĂšme fois par sa fille Quentin qui, en se sauvant avec l’argent qu’il lui avait si astucieusement et si patiemment volĂ©, rĂ©duira de nouveau ses rĂȘves d’avare Ă  nĂ©ant. 25La misogynie de Jason diffĂšre de celle de Quentin, mais elle naĂźt du mĂȘme soupçon et le conduit pareillement Ă  figer la fĂ©minitĂ© dans l’abstraction d’un stĂ©rĂ©otype. Pour Quentin elle se confondait avec l’idole blanche et muette de la virginitĂ©, mais l’analyse de son monologue nous a dĂ©jĂ  montrĂ© combien il fallait se mĂ©fier de cette image et quels en Ă©taient les troubles dessous. En vĂ©ritĂ©, les propos de Jason ne font que traduire en clair et en vulgaire ce que suggĂ©raient les morbides soupçons de Quentin, Ă  savoir que toutes les femmes sont des putains. Evidence inavouable et inacceptable aux yeux de Quentin, qui s’efforçait de la masquer sous les nobles oripeaux de l’idĂ©alisme courtois. Jason, lui, en prendra allĂšgrement son parti en choisissant pour maĂźtresse une brave fille de putain » 555/291. À faire de la femme une simple commoditĂ© sexuelle, il croit pouvoir en jouir sans risque et d’autant plus sĂ»rement qu’il a pris soin d’établir sa liaison avec Lorraine sur une base exclusivement vĂ©nale. 26Le cynisme que Jason peut si aisĂ©ment mettre en pratique avec sa docile maĂźtresse ne lui sert toutefois Ă  rien lorsqu’il s’agit de Caddy et de sa fille. Celle-ci est l’objet prĂ©fĂ©rĂ© de sa rage et de sa haine, l’argent est son unique objet d’amour. Or, il n’est pas indiffĂ©rent que ces deux passions soient liĂ©es l’une et l’autre Ă  la figure de la sƓur. Caddy joue pour lui le rĂŽle de pourvoyeuse elle l’était dĂ©jĂ , virtuellement, au moment de son mariage puisque celui-ci devait assurer Ă  Jason une position confortable Ă  la banque du beau-frĂšre ; elle l’est, au prĂ©sent, rĂ©ellement, puisque depuis quinze ans il lui vole les deux cents dollars qu’elle envoie chaque mois pour sa fille. En d’autres termes, c’est de Caddy qu’il attend la satisfaction de ses plus chers dĂ©sirs, en quoi il n’est pas sans rappeler Benjy et Quentin. On pourrait dire que chez Jason l’ambivalence de Quentin Ă  l’égard de Caddy, au lieu d’ĂȘtre intĂ©riorisĂ©e, a Ă©tĂ© Ă  la fois dissociĂ©e et dĂ©placĂ©e. Question d’économie. L’hypothĂšse est d’autant plus plausible que le rapport de Jason Ă  sa niĂšce apparaĂźt lui-mĂȘme comme le produit d’un dĂ©placement ou d’un remplacement et que celle-ci en vient presque Ă  occuper dans son monologue la place tenue par Caddy dans les sections prĂ©cĂ©dentes. 27Jason et sa niĂšce deviennent ainsi les doublures de Quentin et de sa sƓur. MalgrĂ© qu’il en ait, Jason est aussi prĂ©occupĂ© par les escapades de sa niĂšce que Quentin l’était par l’inconduite de sa sƓur. Sans doute n’est-ce pas pour les mĂȘmes raisons. Mais entre le sens de l’honneur de Quentin et le souci de respectabilitĂ© de Jason il n’y a qu’une diffĂ©rence de degrĂ©, et ce souci s’affirme avec tant de force et de passion que l’hypocrisie seule ne suffit pas Ă  en rendre compte. Jason, apparemment, se moque du dĂ©vergondage de sa niĂšce Comme je dis elle peut bien coucher nuit et jour avec tout ce qui porte culotte dans la ville, je m’en fous 562/300. 28Mais bientĂŽt la colĂšre l’emporte Ces sacrĂ©s petits godelureaux avec leurs cheveux gommĂ©s, qui se donnent des airs de faire le diable Ă  quatre. Je leur montrerai, moi, ce que c’est que le diable pour de vrai. Je lui ferai croire que sa sacrĂ©e cravate rouge est le cordon des portes de l’enfer s’il se figure qu’il peut aller courir les bois avec ma niĂšce 562/301. 29Comme Quentin, Jason fulmine contre les godelureaux » de la ville et, dĂ©tail rĂ©vĂ©lateur, il les dĂ©signe du mĂȘme terme squirt dans l’original ; cf. section 2, 466/166 C’est pour l’avoir permis Ă  un sale godelureau de la ville que je t’ai giflĂ©e ». Sa fureur fait ici penser au dĂ©pit de son frĂšre Ă  l’époque des premiers rendez-vous amoureux de Caddy. Semblablement, dans la scĂšne qui l’oppose Ă  sa niĂšce au dĂ©but de la section 3 509-515/227-235, sa brutalitĂ© rappelle jusque dans les gestes l’agressivitĂ© de Quentin envers Caddy. En outre, l’attitude de dĂ©fi que prend la niĂšce au cours de cette confrontation ne laisse pas d’évoquer le souvenir de Caddy narguant son frĂšre, et lorsqu’elle menace Jason de dĂ©chirer sa robe, l’on songe aussitĂŽt Ă  la scĂšne prĂšs du ruisseau oĂč la petite Caddy, par bravade, avait enlevĂ© la sienne. Dans les deux scĂšnes il y a provocation dĂ©libĂ©rĂ©e et l’effet produit est chaque fois le mĂȘme l’impudeur fĂ©minine affole Jason comme elle avait effarouchĂ© la pruderie du jeune Quentin, pour l’un et l’autre la chair dĂ©nudĂ©e est scandale. Dans le monologue de Jason, les bois deviennent comme dans l’univers puritain de Hawthorne le lieu secret de la luxure Tu vas te cacher dans les bois avec un de ces sacrĂ©s godelureaux Ă  cheveux gominĂ©s ? C’est lĂ  que tu vas ? » 511/229. Obsession sexuelle et prĂ©jugĂ© racial se conjuguent dans l’image de la prostituĂ©e noire [...] je ne tolĂ©rerai pas qu’un membre de ma famille aille se galvauder comme une vulgaire nĂ©gresse » 515/234. Or, le mĂȘme langage disait dĂ©jĂ  les hantises de Quentin Pourquoi faut-il que tu te conduises comme les nĂ©gresses dans les prĂ©s les fossĂ©s les bois sombres ardentes cachĂ©es furieuses dans les bois sombres » 429/113-114. Tout en faisant mine d’ĂȘtre scandalisĂ© par le maquillage et les dĂ©shabillĂ©s indĂ©cents de sa niĂšce, Jason en est du reste secrĂštement titillĂ© et peu s’en faut qu’il ne cĂšde Ă  ses dĂ©mangaisons lubriques [...] si, dans ma jeunesse, une femme Ă©tait sortie, mĂȘme dans Gayoso ou Beale Street, avec aussi peu de chose sur les jambes et sur le cul, on n’aurait pas tardĂ© Ă  la foutre en prison. Du diable si, Ă  les voir habillĂ©es de la sorte, on ne croirait pas qu’elles ne cherchent qu’à se faire peloter les fesses par tous les hommes qu’elles croisent dans la rue 554/289. 147 John Longley, The Tragic Mask A Study of Faulkner’s Heroes, Chapel Hill, The University of North ... 30Dans la surveillance constante que Jason exerce sur sa niĂšce il y a une part Ă©vidente de voyeurisme voilĂ  qui rappelle encore Benjy et surtout Quentin, et s’il met tant d’obstination et de frĂ©nĂ©sie Ă  la pourchasser lorsqu’elle s’est enfuie avec l’homme-Ă -la-cravate-rouge, ce n’est pas seulement pour reprendre possession de son » argent, mais aussi dans l’espoir de la surprendre en flagrant dĂ©lit sexuel. Comme toute haine, celle qui lie Jason Ă  la fille de Caddy est ambivalente et peut-ĂȘtre n’est-ce pas aller trop loin que d’y voir la manifestation d’une attirance incestueuse profondĂ©ment refoulĂ©e147 ». 31Ces rappels d’images, cette symĂ©trie des comportements, cette analogie des situations rendent certes le contraste entre le passĂ© et le sordide prĂ©sent d’autant plus frappant. La relation Jason-Quentin II nous apparaĂźt comme la cruelle parodie de la relation Quentin-Caddy. A la place des pathĂ©tiques querelles d’enfants et d’adolescents Ă©voquĂ©es dans le monologue de Quentin, nous avons ici des scĂšnes d’une stridente vulgaritĂ© qui donnent la mesure de l’avilissement oĂč est tombĂ©e la famille Compson sous le rĂšgne de Jason. Tout prend dans la troisiĂšme section une couleur plus sinistre. Peut-ĂȘtre aussi une couleur plus vraie, un ton plus franc. Et la vĂ©ritĂ© qui se fait ainsi jour accuse Quentin aussi bien que Jason. AprĂšs tout, l’influence que Quentin a exercĂ©e sur sa sƓur n’a pas Ă©tĂ© moins dĂ©vastatrice que celle de Jason sur sa niĂšce. Sous une forme plus insidieuse, son amour a produit les mĂȘmes effets que la haine. Vous m’avez rendue comme ça », dit la fille de Caddy Ă  Jason, je voudrais ĂȘtre morte. Je voudrais que nous soyons tous morts » 578/324. Chez Caddy il y avait dĂ©jĂ  le mĂȘme dĂ©sespoir, la mĂȘme conscience d’ĂȘtre une fille perdue » 487/196, et au lieu d’invoquer la fatalitĂ©, celle-ci aurait pu Ă©galement accuser Quentin de l’avoir corrompue. Victimes, qui d’un frĂšre jaloux, qui d’un oncle vindicatif, Caddy et sa fille finissent toutes deux par reconnaĂźtre leur visage de damnĂ©es dans le miroir malĂ©fique que leur tendent ces deux juges sans pitiĂ©. Sans doute Quentin et Jason ne sont pas les seuls artisans de leur destin, mais dans leur rĂŽle de persĂ©cuteurs ils contribuent plus efficacement que quiconque Ă  faire d’elles des femmes perdues ». Le romancier, au bout du compte, renvoie les deux frĂšres dos Ă  dos Jason, c’est Quentin le censeur devenu bourreau ; Quentin, c’est Jason avec les alibis de l’idĂ©al et les faux-fuyants de la vertu. La troisiĂšme section n’est pas seulement une grinçante rĂ©pĂ©tition de la seconde ; elle en est aussi la brutale dĂ©mystification. Temps et contretemps 32Egalement incapables de nouer avec autrui des relations qui ne soient rĂ©pressives et destructrices, Jason et Quentin se ressemblent aussi dans leur refus du rĂ©el et dans l’échec auquel les conduit ce refus. Echec qui pour l’un et l’autre est avant tout un Ă©chec Ă  vaincre le temps. À premiĂšre vue, il est vrai, l’attitude que Jason adopte Ă  l’égard du temps peut paraĂźtre plus normale que celle de son frĂšre. Mais s’il ne vit pas dans la hantise constante du passĂ© et n’a que mĂ©pris pour la tradition sudiste, il n’est pas sans mĂ©moire et parmi ses souvenirs, il n’en est pas de plus cuisant que celui de l’outrage » que lui a fait subir Caddy en le privant de la position promise. Dans son monologue les retours en arriĂšre n’occupent pas autant de place que chez Quentin ; il est nĂ©anmoins remarquable que le seul long flashback » qui y apparaisse concerne les retours de sa sƓur Ă  Jefferson 527-530/251-256. La diffĂ©rence entre les deux frĂšres Ă  cet Ă©gard tient essentiellement Ă  ce que, au lieu de ressasser indĂ©finiment ses griefs contre Caddy, Jason s’emploiera activement Ă  obtenir rĂ©paration de l’affront subi. De lĂ  que l’obsession du temps tourne chez lui Ă  l’obsession de l’avenir. Le futur, pour Jason, est l’appel de la vengeance ; il est, Ă  la lettre, ce qui devra lui permettre de rĂ©gler ses comptes avec le passĂ©. 33DĂšs lors, il ne s’agit plus de fuir le temps, mais de le rattraper. Aussi, des incessantes allĂ©es et venues entre le magasin, le bureau du tĂ©lĂ©graphe et son domicile, rapportĂ©es dans la troisiĂšme section, Ă  la folle poursuite de la niĂšce et de l’homme-Ă -la-cravate-rouge dĂ©crite dans la section finale, la vie de Jason n’est-elle qu’une longue et Ă©puisante course contre la montre. L’effet comique produit par le rĂ©cit de ses mĂ©saventures dĂ©rive en grande partie de leur rythme de plus en plus rapide, de plus en plus saccadĂ© on songe Ă  la trĂ©pidation incongrue qui s’empare des acteurs dans les films burlesques des temps du muet ; une lĂ©gĂšre accĂ©lĂ©ration de leurs mouvements suffit Ă  les transformer en pantins gesticulants. Jason semble ĂȘtre de ces pantins-lĂ . Toujours pressĂ©, toujours Ă  courir aprĂšs des trains en marche et continuellement freinĂ© dans sa course par de fĂącheux contretemps manque de chĂšques en blanc, pneus dĂ©gonflĂ©s, maux de tĂȘte, etc. Plus Jason s’affole et s’agite, plus il est en retard. Il n’a jamais le temps d’ĂȘtre Ă  temps. 34Ane trottant derriĂšre sa carotte, Jason est comme Quentin le jouet du temps, mais pour d’autres raisons parce qu’il en a fait une idole, un ersatz d’éternitĂ©. Quentin rĂȘvait d’une Ă©ternitĂ© en quelque sorte verticale qui surplomberait le temps. Celle de Jason, homme de progrĂšs », est un mirage en avant, dans l’axe horizontal de la durĂ©e c’est dans le temps qu’il fuit le temps. 35Evasion illusoire [...] laissez-moi seulement vingt-quatre heures » 582/329, implore-t-il Ă  la fin de son monologue. Ces vingt-quatre heures, c’est ce qui le sĂ©pare de la rĂ©alisation de son rĂȘve d’avare, rĂȘve qui, Ă  tout prendre, n’est pas si Ă©loignĂ© de celui de Quentin. Car l’un et l’autre cherchent Ă  thĂ©sauriser, Ă  mettre quelque chose Ă  l’abri du changement pour l’avoir tout Ă  soi. Pour Quentin, c’est le trĂ©sor » de la virginitĂ© de Caddy qu’il importait de prĂ©server intact ; chez Jason le mĂȘme besoin de sĂ©curitĂ© et de possession se traduira plus prosaĂŻquement par l’amour du dollar et trouvera sa plus juste mĂ©taphore dans le coffre-fort oĂč il enferme l’argent volĂ© Ă  Caddy. Mais Jason va perdre ses Ă©conomies », comme Quentin avait perdu sa sƓur. Ses calculs, ses ruses, ses prĂ©cautions ne le sauvent pas du dĂ©sastre, sa logique se rĂ©vĂšle aussi impuissante Ă  le conjurer que les folles divagations de Quentin. L’imbĂ©cile 148 “Appendice”, p. 465/“Appendix”, p. 420. 36Dans son Appendice » au roman, Faulkner nous dit que Jason est le premier Compson depuis des gĂ©nĂ©rations Ă  ĂȘtre sain d’esprit » et le dĂ©finit par ces trois termes logique, rationnel, maĂźtre de soi148 ». La remarque est Ă©videmment Ă  prendre cum grano salis car tout le discours de Jason sa forme comme son contenu la dĂ©ment. Jason est aussi illogique, aussi irrationnel et aussi peu maĂźtre de soi que Quentin, et ses efforts pour imposer au monde son ordre, loin de le distinguer de ses frĂšres, ne font que confirmer la ressemblance. Sans doute est-ce Ă  une pure et froide rationalitĂ© qu’il aspire Ă  preuve son lĂ©galisme tatillon et son dĂ©sir de rĂ©duire toute relation personnelle Ă  un arrangement commercial. Mais plus encore que par l’imprĂ©visibilitĂ© des ĂȘtres et des Ă©vĂ©nements sa volontĂ© de raison et d’ordre est bafouĂ©e par sa propre dĂ©raison. Et ce n’est pas seulement dans ses dĂ©mĂȘlĂ©s avec sa famille qu’il perd son sang-froid ; mĂȘme en affaires, il se montre incapable de la moindre dĂ©cision rĂ©flĂ©chie. Comme businessman, Jason fait piĂštre figure. Il a beau ĂȘtre cupide et cynique, rien ne lui rĂ©ussit. Comme le lui fait remarquer Job, le vieux Noir employĂ© Ă  la quincaillerie, l’excĂšs mĂȘme de sa mĂ©fiance se retourne contre lui Vous ĂȘtes trop malin pou’ moi. Y’en a pas un dans la ville qui pourrait vous battre pour ce qui est d’ĂȘtre malin. Vous roulez un homme qu’est si malin qu’il ne peut mĂȘme pas se suiv’ lui-mĂȘme, dit-il [...]– Qui ça ? dis-je– Mr. Jason Compson, dit-il [
] » 570/312. 37Ainsi Jason finit par se prendre au piĂšge de sa propre malice. Le rĂ©cit de ses actions confirme tout Ă  fait la rĂ©flexion perspicace du vieux Job. Qu’il s’agisse de spĂ©culations boursiĂšres sur le coton ou de paris sportifs, ses dĂ©cisions, loin d’ĂȘtre calculĂ©es, sont invariablement dictĂ©es par les caprices de son humeur, par la vanitĂ© la plus butĂ©e ou le plus puĂ©ril esprit de contradiction. Trop mĂ©fiant pour croire Ă  la chance, trop impulsif pour se fier au raisonnement, Jason est vouĂ© Ă  perdre Ă  tous les coups. 149 HermĂšs II L’InterfĂ©rence, Paris, Editions de Minuit, 1972, p. 201. 38 Le gĂ©nie », Ă©crit Michel Serres, se reconnaĂźt Ă  ce signe que, chez lui, pullulent, vivants et bien en os, les imbĂ©ciles149 ». Exemples MoliĂšre, Balzac, Flaubert, Faulkner. Le monologue de Jason, c’est d’abord l’autoportrait somptueux, succulent, d’un imbĂ©cile. 150 Le RĂ©el TraitĂ© de l’idiotie, p. 144. 39L’imbĂ©cile n’est pas idiot, loin de lĂ . Son intelligence n’est rien moins qu’inerte et sur ce point nous donnerons raison Ă  ClĂ©ment Rosset contre Michel Serres, lorsqu’il dit de la sottise qu’ elle ne dort jamais150 ». Voyez Jason, comme il se dĂ©pense et se dĂ©mĂšne son intelligence ne cesse d’ĂȘtre en Ă©veil, en alerte, toujours Ă  l’affĂ»t d’une bonne aubaine ou d’un mauvais coup. Soulevez-lui le crĂąne ça bourdonne comme une ruche. Jason a la tĂȘte pleine de pensĂ©es. Seulement il pense faux, il pense tordu et son discours ne nous livre en fin de compte qu’une grotesque parodie de pensĂ©e logique. Quand on est nĂ©e putain on reste putain » la premiĂšre phrase de son soliloque est son premier sophisme, et c’est par des gĂ©nĂ©ralisations-coups de poing de ce type que ses prĂ©jugĂ©s les plus bĂȘtes se feront passer pour des axiomes irrĂ©futables. Inductions spĂ©cieuses, toujours les idĂ©es et les opinions de Jason ne sont rien de plus que les rationalisations grossiĂšres de ses partis pris et de ses rancƓurs. Quand il pense, ce n’est jamais pour comprendre le rĂ©el, mais pour l’escamoter. Il ne raisonne pas, il rationalise ou ratiocine, acharnĂ© Ă  trouver Ă  tout une explication non pas juste mais rassurante. Pourvu que l’inconnu se rĂ©solve dans l’attendu et le convenu, que le complexe soit rĂ©duit au simple, l’autre au mĂȘme. Ce qu’il cherche, c’est le succĂ©danĂ© magique d’un systĂšme logique – un systĂšme qui rendait enfin compte de la vaste et sinistre machination dont il se croit et se veut l’innocente victime. 40Mais pour un paranoĂŻaque, Jason manque singuliĂšrement d’imagination. Non seulement il pense de travers, mais il ne pense jamais seul, il ne cesse de ressasser le dĂ©jĂ -dit. Ses idĂ©es sont toutes de seconde main et l’on sait de quelle friperie elles proviennent. La texture mĂȘme de son discours tĂ©moigne de sa vertigineuse indigence vocabulaire redondant, syntaxe embrouillĂ©e, tics et clichĂ©s. La grammaire de Jason ne vaut guĂšre mieux que sa logique. 41Reste une rhĂ©torique plastronnante, racoleuse, agressive, avec ses aphorismes Ă  quatre sous et son bestiaire de foire. Restent aussi d’heureuses trouvailles, des pointes perfides, des mĂ©chancetĂ©s vraies. On peut en aimer l’ñcre saveur. Mais cette rhĂ©torique de fanfaron masque un langage mort, une pensĂ©e morte et meurtriĂšre. Tout s’y immobilise en une hideuse grimace nous sommes dans un monde ensorcelĂ© d’essences pĂ©trifiĂ©es oĂč une femme est une femme et un Noir un nĂšgre ». Parce que c’est comme ça et pas autrement. 42Qu’y a-t-il derriĂšre cet amoncellement nausĂ©eux de lieux communs, cette dĂ©bauche de pseudo-logique et de tauto-logique ? Une intelligence aux abois, fĂ©brile mais atrophiĂ©e qui, faute de nourritures plus substantielles, se jette avidement sur son pauvre menu de truismes et de sophismes. Le monologue de Jason ? Un sottisier rageur, un dictionnaire d’idĂ©es reçues dĂ©clamĂ© par un boutiquier en colĂšre. Voix du sens commun et de la bĂȘtise commune, captĂ©e par Faulkner avec une dĂ©lectation toute flaubertienne. 43On comprend mal, dĂšs lors, que la critique faulknĂ©rienne s’obstine Ă  dĂ©crire Jason comme un rationaliste », un rĂ©aliste » ou un pragmatiste ». Il n’est rien de tout cela. La raison dont il se rĂ©clame n’est au mieux qu’un garde-fou, une fragile barriĂšre pour le protĂ©ger du monde et de lui-mĂȘme. Que surgisse une difficultĂ©, et la voilĂ  qui vole en Ă©clats. TĂ©moin la poursuite finale de Miss Quentin. AveuglĂ© par la rage, Jason perd alors toute maĂźtrise de soi, abandonne toute prudence et toute mesure, s’agite comme un forcenĂ©. La folie des Compson, qui fait si souvent les frais de ses quolibets, ne l’a visiblement pas Ă©pargnĂ©. Jason lui-mĂȘme en vient Ă  le reconnaĂźtre dans ses rares moments de luciditĂ© Et me voilĂ , sans chapeau, au beau milieu de l’aprĂšs-midi, Ă  fouiller toutes les ruelles Ă©cartĂ©es, et tout ça, pour le bon renom de ma mĂšre [...] J’allai jusqu’à la rue, mais ils avaient disparu. Et j’étais lĂ , sans chapeau, comme si j’étais fou, moi aussi 544/ 289-290. 44La fureur vengeresse de Jason atteindra son paroxysme le dimanche de PĂąques, aprĂšs l’évasion de la niĂšce et la disparition de l’argent du coffre-fort. DĂšs lors Faulkner nous entraĂźne de nouveau dans un univers de dĂ©lire et de dĂ©raison, Ă©tonnamment proche de celui de Quentin. Comme son frĂšre, en effet, Jason se prend Ă  ce point en pitiĂ© et se croit en proie Ă  un si profond malheur qu’il en dramatise l’enjeu et se projette spontanĂ©ment dans des rĂŽles hĂ©roĂŻques. Quentin se voyait comme le dernier chevalier, le dernier champion des dames » et comparait son suicide imminent Ă  la mort sacrificielle du Christ. Semblablement, Jason s’échauffe jusqu’à la mĂ©galomanie. Ses ennemis ne sont plus alors une petite traĂźnĂ©e et un vulgaire comĂ©dien de théùtre ambulant, mais les forces adverses de son destin » 619/384. Et voici Jason Ă  son tour mĂ©tamorphosĂ© en une sorte de PromĂ©thĂ©e au petit pied ou de Satan miltonien au rabais De temps Ă  autre, il passait devant des Ă©glises en bois brut et aux flĂšches de zinc qu’entouraient des voitures attachĂ©es et de vieux tacots, et il lui semblait voir en chacune d’elles un poste d’observation d’oĂč les arriĂšre-gardes de la Circonstance se retournaient pour lui lancer des coups d’Ɠil furtifs. Et merde pour Toi aussi, dit-il. Essaye donc un peu de m’arrĂȘter ! » Il se voyait dĂ©jĂ  arrachant, au besoin, l’Omnipotence de Son TrĂŽne, suivi de son peloton de soldats et du shĂ©rif, menottes aux mains, et il imaginait la lutte des lĂ©gions du ciel et de l’enfer au milieu desquelles il se prĂ©cipitait pour apprĂ©hender enfin sa niĂšce fugitive 618-619/382. 151 Comme le note Duncan Aswell, la scĂšne avec le vieillard “aurait pu sortir tout droit de la journĂ©e ... 45Le retour au rĂ©el se fera par l’expĂ©rience cuisante de l’humiliation physique. LĂ  encore le rapprochement avec la deuxiĂšme section s’impose. La bagarre de Jason avec le vieillard de Mottson, qui clĂŽt la chasse Ă  la niĂšce, est un singulier pendant Ă  la rixe Quentin-Bland Quentin avait essayĂ© de frapper Bland pour venger l’honneur fĂ©minin, Jason s’en prend tout aussi absurdement Ă  un vieil homme qu’il ne connaĂźt pas et qui n’en peut mais, pour empĂȘcher le monde entier » 621/385 de dĂ©couvrir son infortune151. Dans les deux scĂšnes il se produit une sorte de quiproquo, de mĂ©prise tragi-comique, la personne agressĂ©e Ă©tant chaque fois le substitut de l’adversaire rĂ©el hors de portĂ©e. L’on voit que, si Jason n’est pas aussi donquichottesque que son frĂšre, les Ă©garements de sa colĂšre le conduisent pareillement Ă  se battre contre des moulins Ă  vent. Sa bagarre, comme celles de Quentin, n’est qu’un lamentable simulacre, une scĂšne de shadow boxing » qui s’achĂšve dans la dĂ©rision Jason s’écroule et se cogne la tĂȘte contre un rail avant que le petit homme furieux au couperet ait eu le temps de l’approcher. Plusieurs autres dĂ©tails de la scĂšne accentuent encore l’ironie des ressemblances les rĂ©fĂ©rences parallĂšles au saignement 492/203-204 ; 623/388 et, suggĂ©rant directement la comparaison avec Quentin, les questions du tĂ©moin de l’incident, qui croit avoir assistĂ© Ă  une tentative de suicide 623/388 et demande Ă  Jason si la fille qu’il recherche n’est pas sa sƓur 623/389. La suprĂȘme ironie est cependant que Jason, au terme de sa poursuite, se trouve Ă  son tour en posture de victime, si dĂ©semparĂ©, si misĂ©rable que sa faiblesse Ă©voque non seulement la pathĂ©tique impuissance de Quentin, mais aussi l’état d’extrĂȘme abjection de Benjy. A la fin Jason n’est plus qu’un pantin aux ressorts cassĂ©s. Les derniĂšres scĂšnes nous montrent un homme prostrĂ©, annihilĂ© par l’humiliation de sa dĂ©faite Il resta un moment assis. Il entendit une horloge sonner la demie, puis des gens commencĂšrent Ă  passer, endimanchĂ©s et vĂȘtus de leurs costumes de PĂąques. Les uns le regardaient en passant, regardaient cet homme assis tranquillement derriĂšre le volant d’une petite auto, avec sa vie invisible, dĂ©vidĂ©e autour de lui comme une vieille chaussette 624/391. 46A travers l’échec de Jason, Faulkner finit par faire triompher une maniĂšre de justice poĂ©tique. Situations et rĂŽles se renversent selon les jeux de bascule du théùtre comique l’histoire de Jason est l’histoire du voleur volĂ©, du persĂ©cuteur persĂ©cutĂ©, du bourreau transformĂ© en victime. Comme au spectacle de marionnettes, l’on serait tentĂ© d’applaudir au chĂątiment du mĂ©chant si le romancier n’avait entre-temps changĂ© d’attitude vis-Ă -vis de son personnage. Le Jason qu’on vient de voir, seul et abandonnĂ©, affalĂ© derriĂšre le volant de sa petite auto, ne fait plus rire. Ce qui transparaĂźt soudain derriĂšre sa figure de vaincu, c’est l’archĂ©type faulknĂ©rien de l’homme aux outrages. Non que Jason nous soit devenu brusquement sympathique, mais le mĂ©pris dont il a Ă©tĂ© accablĂ© tout au long du roman le cĂšde ici furtivement Ă  ce respect mĂȘlĂ© de pitiĂ© que Faulkner eut l’élĂ©gance d’accorder Ă  chacune de ses crĂ©atures, fussent-elles aussi viles que Popeye, Flem Snopes et Jason, quand arrive l’heure de la plus grande solitude ou s’approche l’échĂ©ance de la mort. 47L’imbĂ©cile, selon l’étymologie du terme, est d’abord un faible et c’est la faiblesse de Jason que nous rĂ©vĂšle la scĂšne de sa dĂ©faite. VoilĂ  le monstre dĂ©masquĂ©, la marionnette dĂ©montĂ©e. Ses dĂ©risoires secrets ont Ă©tĂ© Ă©ventĂ©s et pourtant l’énigme du mal qu’il est censĂ© incarner dans le roman reste entiĂšre. Car ce bourreau est aussi une victime et l’on ne peut lui faire porter l’entiĂšre responsabilitĂ© de ses mĂ©faits. Jason est pourri jusqu’à la moelle, mais la corruption qui est en lui ne vient pas seulement de lui et elle n’est pas non plus l’effet d’une tĂ©nĂ©breuse fatalitĂ©. La vĂ©ritĂ© du personnage est ailleurs. Le petit bourgeois 48Faut-il en chercher la clef dans la sociĂ©tĂ© sudiste des annĂ©es vingt et trente ? On ne peut en tout cas nĂ©gliger la dimension proprement sociologique du personnage. 49La critique faulknĂ©rienne n’a pas tardĂ© Ă  s’apercevoir que le mouvement gĂ©nĂ©ral de Le Bruit et la fureur Ă©tait un mouvement d’expansion et d’ouverture, que d’une section Ă  l’autre le centre de gravitĂ© se dĂ©plaçait progressivement du privĂ© au public, de l’individuel au social. Encore que le monologue de Jason soit en un sens aussi fermĂ© » que ceux de ses frĂšres, et son point de vue aussi Ă©troitement subjectif que celui de Quentin, il invite en effet le lecteur Ă  porter son regard au-delĂ  de la famille Compson et lui permet ainsi de situer son drame dans un contexte plus large, de dĂ©couvrir qu’à nous parler des Compson, Faulkner ne cesse de nous parler du Sud, et que l’autre scĂšne » du théùtre familial, c’est aussi l’inconscient social. 50Or, cet inconscient-lĂ  se manifeste en premier lieu par ses effets de langage, et rien n’est plus remarquable que la maniĂšre dont le social sature le discours de Jason. On remarquera d’abord qu’il est le seul Compson Ă  parler l’idiome de sa rĂ©gion, le seul Ă  s’exprimer dans la langue populaire, et l’on notera Ă©galement qu’il est le seul qui soit Ă  la recherche d’une identitĂ© sociale. Il n’est pas coupĂ© du monde comme le sont ses frĂšres, il tente de s’y affirmer, de s’y faire une place [...] j’ai une position dans cette ville » 515/234, dit-il Ă  sa niĂšce, et on le voit faire des efforts dĂ©sespĂ©rĂ©s pour sauver la façade, pour empĂȘcher que le nom de sa famille ne soit totalement discrĂ©ditĂ© aux yeux de l’opinion. Sans y rĂ©ussir ses concitoyens ne l’estiment guĂšre et la communautĂ© de Jefferson ne semble le tolĂ©rer qu’en raison de la place respectable que sa famille y a autrefois tenue. 152 Voir “Appendice”, p. 645/“Appendix”, p. 420. 51Jason est Ă  vrai dire trop marginal, trop excentrique pour qu’on puisse le considĂ©rer comme typique. Il n’en demeure pas moins qu’à travers les grossissements et les distorsions de la satire son portrait nous rĂ©vĂšle nombre de traits associĂ©s Ă  la mentalitĂ© sudiste. Mais Ă  quel Sud Jason appartient-il, l’Ancien ou le Nouveau, celui des Sartoris ou celui des Snopes ? Il ne suffit assurĂ©ment pas de dire que Jason est un Snopes avant la lettre. Certes, il a reniĂ© toute allĂ©geance aux traditions de sa famille et de sa communautĂ© et se fĂ©licite cyniquement d’ĂȘtre sans conscience morale ; sa cupiditĂ©, sa malhonnĂȘtetĂ©, sa bassesse ne le cĂšdent en rien Ă  celles de Flem Snopes. Aussi, dans une sociĂ©tĂ© qui tient ces tares pour vertus, Jason est-il le seul Compson Ă  pouvoir survivre. Mais voilĂ  qui le distingue dĂ©jĂ  de Flem il parvient Ă  survivre, il ne fait pas fortune. Selon Faulkner152, Jason Ă©tait le seul de sa famille Ă  savoir se mesurer avec les Snopes sur leur propre terrain. En fait, il n’est cependant pas de taille Ă  lutter avec Flem, et dans Le Domaine celui-ci n’aura pas plus de mal Ă  le gruger que les autres citoyens de Jefferson. 52Ce qui manque Ă  Jason, c’est la patiente roublardise et la froide dĂ©termination qui feront le succĂšs de Flem. On peut le considĂ©rer Ă  la rigueur comme la conscience et la voix du snopesisme, mais il ne nous donne qu’une piĂštre image du snopesisme en acte. La raison en est peut-ĂȘtre que sa rapacitĂ© est d’un autre ordre. Les Snopes ont les appĂ©tits voraces et les ambitions vulgaires d’un paysan parvenu et leur ascension est aussi irrĂ©sistible qu’une catastrophe naturelle. Jason, en revanche, dernier survivant d’une famille bourgeoise dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e, est pris dans les contradictions paralysantes de son hĂ©ritage. 53On ne saurait donc confondre Jason avec la classe montante des Snopes, non plus qu’on ne peut l’identifier entiĂšrement avec sa classe d’origine, la classe dĂ©sormais moribonde des Sartoris et des Compson. Jason lui-mĂȘme ne sait pas trĂšs bien quel est son statut social et change d’allĂ©geance selon l’humeur et les circonstances. TantĂŽt il prend le parti des pauvres fermiers des collines, tantĂŽt il les maudit ou dĂ©nonce leur coupable imprĂ©voyance ; tantĂŽt il raille les prĂ©tentions sociales de sa famille, tantĂŽt il se fait le farouche dĂ©fenseur de l’honneur des Compson. Il est vrai que Jason se sent plus proche des Bascomb, de la famille petite-bourgeoise de sa mĂšre que des aristocratiques Compson, mais le prestigieux passĂ© de ceux-ci n’est certainement pas Ă©tranger Ă  ses hantises. Le terme qui, socialement, le dĂ©finit sans doute le mieux est celui de dĂ©classĂ©. De ce dĂ©classement Jason semble avoir vivement conscience son amertume, son ressentiment y trouvent un aliment inĂ©puisable. 54A travers Jason, Faulkner a tracĂ© le portrait d’un petit bourgeois aigri, et il a fait de lui le porte-parole Ă©loquent de tous les laissĂ©s pour compte de la nouvelle sociĂ©tĂ© sudiste des annĂ©es vingt patriciens dĂ©chus, petits commerçants besogneux, rednecks Ă©crasĂ©s de dettes, tous ceux que les vicissitudes de l’économie avaient condamnĂ© Ă  croupir dans la gĂȘne et la mĂ©diocritĂ©. C’est de ce semi-prolĂ©tariat rural de petits Blancs » que Jason est le reprĂ©sentant, et son monologue en distille Ă  merveille les aigreurs et les rancunes. 55Comme tous les ratĂ©s, Jason se croit victime d’un sort injuste qui l’a privĂ© de son dĂ». DĂ©tail remarquable les rares fois qu’il passe du je au nous, c’est pour exprimer une sorte de solidaritĂ© rageuse et apitoyĂ©e avec ses anonymes compagnons d’infortune Je ne vois pas comment une ville pas plus grande que New York peut renfermer assez de gens pour soutirer leur argent Ă  des pauvres poires comme nous us country suckers 555/291-292. 56Mais cette prise de conscience d’un sort partagĂ© n’implique aucune solidaritĂ© rĂ©elle. Pour s’en sortir, Jason ne compte que sur lui-mĂȘme. En bon AmĂ©ricain et en bon Sudiste, il surcompense son sentiment d’impuissance par un farouche individualisme Du reste comme je dis, je n’ai pas besoin qu’on m’aide pour faire mon chemin. Je sais me tenir sur mes jambes, comme je l’ai toujours fait 530-531/256. 57Les claironnantes affirmations d’indĂ©pendance de Jason sonnent comme un rappel ironique de la lĂ©gendaire fiertĂ© des hommes de la FrontiĂšre », dont il est le descendant, et l’on serait presque tentĂ© d’y voir une discrĂšte parodie de la self-reliance » cĂ©lĂ©brĂ©e par Emerson. On sait ce que vaut cet individualisme-lĂ  il n’est que le masque et l’alibi du conformisme. 153 Voir “The Pseudo-Conservative Revolt – 1954”, in The Paranoid Style in American Politics and Other ... 58MĂ©fiance et intolĂ©rance parachĂšvent le portrait. XĂ©nophobie, antisĂ©mitisme, anti-intellectualisme, mysogynie c’est dans ces formes de haine sanctionnĂ©es et encouragĂ©es par le consensus social que se fixe et se durcit en dernier ressort l’animositĂ© nĂ©e de la frustration. On n’aura pas manquĂ© de reconnaĂźtre les implications politiques de cette agressivitĂ© dĂ©sormais canalisĂ©e Jason et ses pareils sont de l’étoffe dont, en pĂ©riode de crise, on fait des fascistes. Mais ne confondons pas ultra-droite et conservatisme. Jason n’est pas un conservateur, un nostalgique du passĂ©, un dĂ©fenseur des traditions du Sud ; il ressemble plutĂŽt au pseudo-conservateur » tel que l’a dĂ©fini l’historien Richard Hofstadter153 appliquĂ© Ă  donner de lui-mĂȘme l’image rassurante de l’homme d’affaires industrieux, du fils dĂ©fĂ©rent et du chef de famille responsable, Jason adopte les valeurs traditionnelles pour tout ce qui touche Ă  son personnage public. Et pas seulement par hypocrisie son monologue nous montre qu’il prend ces rĂŽles tout Ă  fait au sĂ©rieux. Mais la violence de ses Ă©clats et de ses foucades ne cesse de fissurer ce vernis de respectabilitĂ©. Le pseudo-conservateur » est un homme divisĂ© la rigueur de son conformisme est contredite par une haine virulente, irraisonnĂ©e, voire inconsciente de l’ordre Ă©tabli. ColĂšre, peur, inquiĂ©tude, mĂ©fiance paranoĂŻde, prĂ©jugĂ©s ethniques et obsession du statut social, parmi les caractĂ©ristiques du pseudo-conservatisme qu’énumĂšre Hofstadter, il n’en est pas une seule qui ne vaille pour Jason. 59Faulkner n’avait pas d’ambitions sociologiques lorsqu’il composa Le Bruit et la fureur, mais l’on peut dire qu’il avait dĂšs ce moment-lĂ  – plus qu’aucun de ses contemporains – l’imagination sociologique et historique qui sait recrĂ©er et rĂ©vĂ©ler l’esprit d’un temps et d’un lieu. Les petits bourgeois bĂȘtes et mĂ©chants Ă  la Jason ne sont certes ni d’un seul pays ni d’un seul temps. Mais il serait vain de nier qu’ils trouvĂšrent dans le Sud de la premiĂšre moitiĂ© du vingtiĂšme siĂšcle une terre d’élection oĂč leur virulente sottise pouvait sĂ©vir plus impunĂ©ment qu’ailleurs, et de ce Sud-lĂ , Faulkner nous a donnĂ© Ă  travers Jason l’un des portraits le plus implacablement justes et le plus fĂ©rocement comiques. 154 FAU, p. 29/FIU, p. 17. 60 Il y a trop de Jasons dans le Sud qui peuvent rĂ©ussir, exactement comme il y a trop de Quentins dans le Sud qui sont trop sensibles pour affronter la rĂ©alitĂ©154 » cette remarque du romancier confirme, s’il en Ă©tait besoin, la valeur reprĂ©sentative qu’il assignait Ă  ces deux personnages, et elle indique aussi leurs fonctions complĂ©mentaires dans le roman. Le plus souvent cette complĂ©mentaritĂ© a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e dans une perspective Ă  la fois symbolique et historique l’effondrement de Quentin reprĂ©senterait la faillite de vieilles traditions sudistes, Jason serait le sinistre prophĂšte de l’ñge nouveau. Chacun d’eux symboliserait donc une phase dans le processus de dĂ©clin que Faulkner a dramatisĂ© Ă  travers l’histoire des Compson. Aussi sĂ©duisante soit-elle, cette lecture allĂ©gorisante ne convainc qu’à moitiĂ©. À trop durcir les oppositions, elle tend Ă  faire oublier ce qu’il y a de presque organique dans la complĂ©mentaritĂ© de ces deux figures. Comme nous l’avons soulignĂ© Ă  plusieurs reprises au cours de ce chapitre, Quentin et Jason sont plus profondĂ©ment frĂšres » qu’on ne l’a gĂ©nĂ©ralement reconnu. FrĂšres ennemis sans doute, mais les ressemblances sont si troublantes que leurs monologues semblent devoir ĂȘtre lus comme les deux versions d’un mĂȘme texte ou deux interprĂ©tations diffĂ©rentes d’une mĂȘme piĂšce. L’enjeu de la piĂšce est la perte. Cette perte peut s’entendre en termes socio-historiques perte par une classe dominante de son statut et de ses privilĂšges ; dĂ©classement, dĂ©clin, dĂ©composition. Mais perte d’abord vĂ©cue dans sa chair par chacun des protagonistes du roman perte d’amour par perte de soi, perte de soi par perte d’amour. Benjy, l’idiot dĂ©possĂ©dĂ© au seuil de l’Ɠuvre, reprĂ©sente cette perte sous sa forme la plus Ă©lĂ©mentaire et la plus nue. En Quentin et en Jason elle devient ce qu’en termes religieux on appellerait perdition, ruine de l’ñme, ou ce que la vulgate marxiste dĂ©signerait sous le concept d’aliĂ©nation, expropriation de soi. Tous deux se perdent pour n’avoir pas su assumer la perte. A Quentin comme Ă  Jason il aura manquĂ© le courage d’entreprendre le nĂ©cessaire trajet qui conduit de l’innocence Ă  l’expĂ©rience, du moi Ă  l’autre et Ă  l’Autre. En quoi ils sont vouĂ©s Ă  rester, comme leur frĂšre dĂ©bile, des demeurĂ©s. Seuls les destins des deux frĂšres sont vraiment disjoints. Le premier perd sa vie, le second son Ăąme. Jason survit - dĂ©risoire triomphe de l’ endurance » faulknĂ©rienne. 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